508 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
Mais c'est dans un sentiment assez juste qu'il écrit : « Je n'ai com- pris l'Orient, je ne l'ai vécu que du jour où j'ai lu Goba le Simple. f> Comme le livre désordonné, touffu et délicieux a enthousiasmé l'auteur de Dingo (Goha est un Dingo innocent), il est naturel que le livre d'Elissa Rhaïs ait séduit M. Doumic. 11 a de bonnes qualités classiques, il est composé, il est clair. Le sentiment de l'inévitable destinée, du mektoub, y est développé, mis en lumière entre un commencement et une fin, et si les arabesques ne manquent pas, elles se rattachent à un dessin principal. Elissa Rhaïs appartient à une famille de conteurs arabes professionnels, mais sa façon de voir la vie et de conter est certainement moins arabe que celle des deux Égyptiens. Elle est mieux à notre goût. Son récit ni ne piétine ni ne s'attarde, ne provoque aucune de ces impatiences qu'on peut légitimement éprouver avec Goba lorsqu'on n'y trouve que l'occa- sion d'une promenade dans les rues du Caire, il est vrai que je vois dans Saâda beaucoup plus que dans Goha, un placage de clichés empruntés à la production courante du roman français, mais cela ne me gêne pas plus chez un étranger que les efforts touchants qu'il peut faire pour s'adapter à l'extérieur des mœurs françaises. Je ne cache pas que, sur le fruit exquis de Saâda, j'aimerais mieux trouver la pelure ou l'écorce des Mille et une Nuits que celle du père Dumas, mais cela est un détail.
Les journées tièdes, douces, insensiblement coulantes, durant lesquelles le voyageur s'abandonne dans la détente ensoleillée d'une ville orientale, Goha et Saâda n'en rendent pas seulement le pitto- resque, ce qui serait peut-être négligeable, ils en rendent surtout la pente ; la journée glisse dans les rues du Caire comme une eau de durée sur un lit incliné dont on épouse la fuite avec une résignation voluptueuse et une mélancolie dorée. Nos deux romans d'Islam, Saâda plus clairement, Goha de manière plus enveloppée, nous font sentir dans la vie ce poids de la destinée qui l'entraîne, destinée qui, une fois accomplie, apparaît dans le passé comme une œuvre d'art curieuse, comme une figure plastique du bonheur ou du malheur humain, mais qui, au moment où elle s'accomplit, va comme un cheminement discontinu et singulier de hasard et d'instant. Cela est musulman, c'est entendu, et l'Islam en a tiré un secret de paix intérieur. Mais cela n'est-il que musulman, et n'avons-
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