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584 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

de la mort, devenaient les moments d'une révélation psychologique capable d'entretenir la ferveur, d'exalter l'humanité et de peupler la solitude. En proie à une inquiétude que ni le socialisme, ni la catholicité, ni la musique ne parvenaient à apaiser, les esprits demandaient à l'art le renouvellement incessant du milieu d'élection où ils vivaient, repliés sur eux-mêmes, à l'écart des groupes. Forts de leur seule conscience, de leur seule raison, ils considéraient la société comme un milieu artificiel fait de conventions, de préjugés, de superstitions, apportant des limitations arbitraires à la libre expansion de l'individu. 11 ne faut donc pas s'étonner si, face à la guerre, où ils n'ont vu que sujet d'affliction et de scandale, ils n'ont pas su discerner quelles conséquences entraînaient la libération de forces morales insoupçonnées et l'affirmation de réalités collectives ayant chacune sa physionomie propre. Quelques-uns se sont, avec Romain Rolland posé un problème de conscience; aucun n'a cru devoir se prêter à des réflexions critiques de nature à compromettre sa sécurité intellectuelle.

Or les événements survenus au cours de cinq années ont eu trop d'ampleur et d'impétuosité pour ne pas emporter dans un même mouvement les consciences individuelles. Tous nous avons parti- cipé à notre insu d'une expérience collective sans précédent. Et il n'est pas de vie, si humble, si spontanée soit-elle, qui n'ait été bou- leversée, qui n'ait eu comme le pressentiment de vérités nouvelles révélées par la souffrance et par la communion dans la souffrance. Toutes nos convictions, toutes nos certitudes se sont trouvées mena- cées. L'imminence de la mort a mis en échec notre petite sagesse. Et nous avons connu la vanité des constructions idéologiques d'avant-guerre. Quelle créance prêter alors au témoignage de ceux qui prétendent aujourd'hui soustraire à tout examen notre attitude intellectuelle? Ils répètent avec une insistance trahissant le besoin d'être rassurés eux-mêmes que rien n'est changé que tout est comme avant. «Tout comme ici» disait Arlequin. Mais le propos et la pirouette d'Arlequin occupent la parade sans emplir la scène. Faut- il donc que le sentiment de compassion qui ennoblit Duhamel et Barbusse devance et dépasse à ce point l'intelligence critique? Le choc nerveux est-il si persistant que nous nous contentions de sen- tir, d'appréhender vaguement dans une demi-hébétude là où nous

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