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Page:NRF 14.djvu/621

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NOTES 615

elle ne prenait pas ses propres responsabilités : elle s'en rera ttait à une autorité extérieure à elle, elle entrait dans le jeu d'un mécanisme puissant, mais aveiigle. Kn deux siècles, la Prusse « étrangère à l'Allemagne », agrandie par la colonisation, s'est donné utie organisation bureaucratiqui', féo<iale et militaire. Klle l'a introduite dans un pays auquel il manquait (i'êtr' une nation, d'avoir un caractère, une volonté. Elément d'organisation, de << mécanisation », elle a tourné tous les désirs vers la satisf.ctioii matéri 11 ■ : l'intérêt s'est appelé idéal ; l'abandon de soi, discii)line. « Au lieu d'une Allemagne intellectuelle on vit une « association de profiteurs, brutale, stupide, avide de pouvoir, se faire « passer pour l'Allemagne dont elle était 1 • contraire. N'ayant à se « réclamer ni d'une réalisation, ni d'une idée, ne connaissant que « rancune, pathos et subordiiiation, c'est de cela que sous le nom de « KKltiir elle prétendait faire le bonheur de la terre ». I.e Reich n'était qu'une enti éprise montée sur deux ressorts : la subordination, l'intérêt. Possédant la force, une force limitée à la mécanique et à l'argent, il la prétendait liée à l'idéalisme ancien : « Wagner établit la transition de « l'Allemagne passée à l'Allemagne nouvelle; les cuirassés et Is canons « géants parurent conséquences naturelles de Kant et de Hegel et le mot « Kultur dont il faudrait qu'un-^ loi défendit l'usage pendant trente ans, « servit à masquer la confusion des concepts. » ( Dir neue Gesells- chaft )

Ce n'est point que Rathenau dénie toute grandeur à la Prusse. So!i effort se justifia un temps et ce fut un coup de génie de pressentir dès 1713 le rôle que jouerait dans le mande moderne le facteur organisation. Avoir des machines, de l'argent, être savant, précis, et tendre les ressorts en vue d'une conquête du réel, c'était un gage de succès. Napoléon sut s'en emparer. Lui aussi il fit du monde une machine — mais, remarque Rathenau, « il était l'héritier des Français qui déli- vrèrent les peuples et les esprits ». Tandis qu'après lui, Bismarck < t les partisans de la Realpolitih, ne songèrent qu'à contraindre peuple et esprit. Leur machine .jouait sans résistance apparente. Vu de l'Aile* magne le monde paraissait, il était désordre, négligence, laisser-aller. Ici, on s'épuisait en vaines luttes parlementaires ; là, on manquait de canons, d'hora.-nes, de chemins de fer, de crédit, partout les 'rains arrivaient en retard, partout éclataient des scandales : il n'y avait que la Prusse Allemagne où tout fut en ordre. Par une merveilleuse conjoncture, à rh*ui: - où la technique humaine se renouvelait, «t où la production dépendait de, l'art d'enrégimenter les masses prolétariennes, la Prusse portait à son plus haut point de perfection cette technique et cet art.

Mais elle n'avait ni secret, ni monopole. D'auti'es peuples l'imitant, la rejoignant dans son avance, l'abattant, il ne lui restait rien en propre. D'où pour elle l'étendue de la catastrophe. D'où pour l'Alle- magne le sens profond de la guerre : l'organisation purement extérieure qu'elle a connue, la conception mécaniste qu'elle avait

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