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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

pur de toute attache, avant apparaît analogue aux formes a priori de la sensibilité telles que les définissait Kant. Pour au contraire est imprégné de finalité, et d’une finalité intéressée. La parole agit ici sur la pensée à la manière d’une cause finale. Quand elle s’exerce sur notre propre pensée, nous éprouvons souvent la plus grande peine à suivre, à démêler son action, mais nous sommes merveilleusement habiles à déceler cette action dans une pensée étrangère, — à un fonctionnement quasi automatique de l’esprit qui réduit l’opération intellectuelle à une série de réflexes prévisibles, qui la résout en un jeu où l’on gagne à chaque mise et sans désemparer : la formule par laquelle, au terme de la démonstration, tel doctrinaire résume son raisonnement, boucle sa boucle, rappelle le geste du croupier qui, d’un coup de râteau, rassemble et ramène vers lui les pièces d’argent éparses sur la table. Ce sont les pensées de cette sorte que discrédite M. Valéry dans ce passage bien significatif : « Mais pensée trop immédiate, — pensée sans valeur, — pensée infiniment répandue, — et pensée bonne pour parler, non pour écrire[1]  ». Forts de ce texte qui semble exclure toute ambiguïté, rangerons nous donc M. Valéry

  1. Cette phrase offre un exemple fort curieux de l’extrême sévérité dont use M. Paul Valéry envers son propre esprit. La pensée dont il déclare qu’elle est bonne pour parler, non pour écrire, est la suivante : « Je sentais que ce maître de ses moyens, ce possesseur du dessin, des images, du calcul, avait trouvé l’attitude centrale à partir de laquelle les entreprises de la connaissance et les opérations de l’art sont également possibles. » Or il serait difficile de relever dans l’Introduction un passage qui formulât avec plus de bonheur et d’exactitude le problème qui a toujours occupé Valéry et celui sans aucun doute qui l’a orienté vers Léonard.