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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

loue » ; soit au contraire qu’elle la fasse jouer sous toutes ses facettes, qu’elle l’expose à de multiples éclairages, comme dans tant de morceaux de La Bruyère. Examinée à la lumière de notre tradition littéraire centrale, une pensée bonne pour écrire, c’est une pensée unique accomplissant sur elle-même sa pleine révolution et dont l’aboutissement, inscrit dès l’origine dans le point de départ, se confondrait avec lui si tout l’art de l’écrivain ne consistait à les séparer parle périple savant dans lequel il l’engage. Mais le point où la pensée des autres s’arrête, où leur pouvoir d’expression cesse, c’est précisément le point où la pensée de Valéry prend le départ : tout ce qui reste en deçà de ce point-là pour Valéry est comme non avenu. Jamais trace dans son œuvre de ce travail de déblayage grâce à quoi la pensée avance dans la mesure même où elle creuse le sillon à l’intérieur duquel elle chemine : Valéry ne prépare, ni ne développe : il énonce et passe. « L’inspiré était prêt depuis un an. Il était mûr. Il y avait pensé toujours, — peut-être sans s’en douter, — et où les autres étaient encore à ne pas voir, il avait regardé, combiné et ne faisait plus que lire dans son esprit. » Ne faire plus que lire dans son esprit, formule qui rejoint, qui commente en l’éclairant la parole de Gide sur Mallarmé. Quand il est parvenu là, et seulement alors qu’il y est parvenu, l’écrivain mérite vraiment qu’on dise de lui : « Il pensait avant de parler », et a fortiori qu’on ajoute avant d’écrire. Ce pouvoir d’élimination impitoyable, il semble que non seulement il s’exerce chez Valéry sur toute pensée ayant atteint un certain degré de différenciation, mais qu’il s’étende jusqu’à la zone d’où tout à l’heure une pensée se