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NOTES 771

LES CARNETS DE GUERRE DE RICHARD DEHMEL. (Zwischenl^olkund Menshheit. S. Fischer, Berlin, 1919).

Le bruit avait couru on 1911 que le poète socialiste Richard Dehmel s'était engagé à cinquante ans pour combattre le czarisme. En fait Dehmel était dès octobre 1914 sur le front français à Chauny où il resta jusqu'en avril 1915. Des tranchées il passa au service d'étapes où il fut chargé de conférences de propagande dans l'armée allemande. Tyrtée désabusé, en 1916, il quitta le front d'Alsace pour entrer à la censure en Lithuanie. Les abus dont il y fut témoin le décidèrent à deman<!ersoa rappel. Il devait finir la guerre au service des archives et après l'armis- tice lancer un appel vain aux volontaires qui consentiraient à mourir plutôt que d'accepter les conditions faites à l'Allemagne; la flamme autour de lui s'était éteinte. En lui-même rlle ne jetait plus qu'une lueur et le Kriegstagebuch qu'il rédigea pendant quatre années ne s r- vira guère la mémoire de l'écrivain mort hier.

On s'attendait à y trouver les réactions d'un homme averti, qu'un geste héroïque avait jeté dans la mêlée. Comment un Allemand, s non de génie, du moins de talent, concevait-il cette guerre < De quoi se sen- tait-il adversaire? Que combattait-il en la France? Que découvrait-il de l'Allemagne? Et l'on est déçu que toute pensée soit tenue, dans es car- nets, à un niveau si médiocre. Pour un officier de réserve !• s notations paraîtraient assez intelligentes et humaines. Pour un Dehmel, cela se.it trop uniquement l'officier de réserve. Il ne se demande pas pourquoi il se bat. Il ne réfléchit ni ne critique. La guerre est un fait qu'il accepte, une fatalité h ureuse; un regret seulement : c'est que la France, dont il faut bien constater la vitalité, n'y soit pas associée à l'Allemagne pour atteindre à l'hégémonie. Car il ne s'agit que de cela dans l'esprit du combattant volontaire. Il ^st enrôlé, enrégimenté, acquis sans réserve à la cause allemande. Etre quelque chose dans le rouage — officier, poète officiel, titulaire d'ordres prussiens, participant d'une commune victoire, son ambition ne va pas à autre chose. S'il a un soubresaut en recevant le cordon de l'Aigle Rouge, c'est parce que ce n'est qu'une décoration civile — et la quatrième classe de l'ordre, à lui qui se fait complaisamment appeler le plus grand des poètes de la génération actuelle, et il souftre moins des actes de barbarie autour de lui que du dédain des officiers de caste pour son talent d'écrivain : c'est à ce signe seulement qu'il recon- naît que l'Allemand n'est point " cultivé «.

Déceptions heureuses en ce sens qu'elles ont peu à peu éveillé l'esprit critique : le naïf ayant épousé sans conteste la cause de son peuple en vient peu à peu à douter. Aux notations de météorologie et d'hygiène

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