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LE NÈGRE LÉONARD ET MAITRE JEAN MULLIN 897

Quand nous fûmes à l'abri des indiscrets j'offris une cigarette à chacun des deux compères.

— Je ne puis rien faire pour vous, dis-je tout de suite. Le pays n'est pas hospitalier. A votre place j'irais à Paris où vos costumes pourront passer inaperçus dans la foule des étrangers.

— Nous sommes sans ressources, répondit Maître Mullin, sans ressources. Achetez au moins ce bouc. L'avez- vous reconnu ?

— Cest le Grand Maître ? demandai-je.

— Hélas ! gémit le nègre, regardez cette pauvre gueule triste.

— Alors, c'est la faillite complète, insistai-je.

— L'effroyable débâcle, la fin de tout, la fin du mal !

— Comment la catastrophe s'est-elle produite ?

— Oh tout naturellement, soupira Jean Mullin, tout naturellement. La fin se faisait déjà pressentir depuis quelques années. Notre académie du mal ne répondait plus aux goûts modernes. Chez nous, le mal manquait de confort.

— Bigre, fis- je à mon tour, croyez-vous par exemple que l'abdication du Grand Bouc entraînera avec elle la disparition du mal sur la terre ? A votre avis, est-ce sim- plement un changement de direction ?

— Les hommes, répondit Jean Mullin tristement, n'ont rien trouvé de mieux que nos réunions pour idéaliser les désirs des méchants. Nous étions à la fois le vin, l'amour et le tabac dans leurs principes les plus pernicieux. Ce miracle qui vient d'interrompre le cours d'une destinée que nous pensions immortelle plonge l'humanité entière

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