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130 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Longtemps, Hamp s'attarde à célébrer l'orgueil du bon ouvrier et de la bonne ouvrière, comme le Péguy de VAr- ^ent. Et convaincu de leur disparition inéluctable et pro- chaine, il ne découvre, pour se substituer à lui, que l'aspi- ration vers la Justice. « Rappelle-toi, il faut aimer deux choses : la justice et ton métier. » (Gens, p. 99). Bientôt tous les métiers ayant disparu, il n'y aura plus à aimer que la jus- tice.

Nous voilà loin de Concourt et de l'impressionnisme, de la peinture exacte et minutieuse d'après le nwiif, Htmp cueille à même les souvenirs et les impressions du temps oià il travaillait avec ses modèles, comme dans un métal en fusion ; en repassant sa vie, il en retrouve toute l'émotion, et il atteint au fond même de la nature et de la destinée humaine, à tous les pourquoi, et à tous les à quoi bon. Ces grands problèmes, Hamp les formule selon sa conscience d'ouvrier, sans quitter l'usine. Les grands mystères chrétiens de l'au-delà, de la grâce, du sacrifice, de la communion des saints, il ne s'en préoccupe pas. Son angoisse est affranchie de toute l'angoisse chrétienne ; il ramène le problème à ses termes judaïques. Il réduit tout à la mesure de l'homme et de son existence terrestre, mais l'homme n'en est point diminué, car cette mesure s'élargit de tout l'espoir messiani- que, du vœu de justice et d'amour, de tout le vieux rêve des prophètes.

La grandeur de Hamp se mesure là : il nous penche de force sur l'abîme de notre destinée, et le vertige s'empare de nous, et nous sentons peser sur notre tête l'irrémédiable malédiction de la Genèse : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. » D'une seule plongée, il nous entraîne jus- qu'au fond de nous-même, puis il nous aide à remonter avec l'espoir de notre rédemption. Sur le plan juif, il fait ce que Dostoïewsky, Claudel, Péguy font sur le plan chrétien, mais sans la même continuité dans l'emprise.

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