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shakespeare : antoine et cléopatre
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Charmion. — Est-ce mon sang qui le doit colorer ?

Iras. — Il veut dire que quand tu seras vieille tu te peindras.

Alexas. — Ne troublez pas sa prescience. Un peu de sérieux.

Charmion. — Chut !

Devin. — Vous serez aimée moins que vous n'aimerez.

Charmion. — Je noierai dans les libations mon amour.

Alexas. — Ecoutez-le donc.

Charmion. — Allons, maintenant, une merveilleuse aventure ! Trois rois épousés dans une matinée et dès l'après-midi être veuve ! A cinquante ans passés, j'accouche d'un enfant à qui Hérode de Judée rend hommage ; non, il cherche par quel moyen Octave César va demander ma main, comme celle d'une Cléopâtre nouvelle.

Devin. — Vous survivrez à la dame qu'aujourd'hui vous servez.

Charmion. — Bravo ! Pour une longue vie, ah ! j'ai plus d'appétit que pour des figues.

Devin. — Je vois votre existence d'hier meilleure que celle-là qui vous attend.

Charmion. — Oui, je comprends : pas de nom de famille pour mes enfants. Mais je vous prie : combien de garçons ? combien de filles ?

Devin. — Si chacun de vos désirs avait matrice et souffrait d'être fécondé, je vous en prédirais un millier.

Charmion. — L'insolent ! Si l'on ne passait pas tout aux sorciers...