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la nouvelle revue française

Dis-lui que sur son front s'épanouit la pleine rose de la jeunesse, et que le monde attend de lui quelque belle action qui surprenne. Trésors, vaisseaux, légions peuvent aussi bien servir un couard ; sous le sceptre d'un enfant ses lieutenants n'auraient pas remporté moindre victoire. C'est à eux non à lui qu'en revient tout l'honneur. Aussi je le provoque à résigner ses avantages ; qu'il se mesure avec ma valeur déclinante, glaive contre glaive et seul à seul. Je vais le lui écrire. Suis-moi.

Enobarbus (à part). — Oui ! comme il est vraisemblable que le triomphant César consente à désarmer son bonheur et s'exhibe en spectacle pour relever le défi d'un bretteur ! J'admire combien le jugement des hommes est entraîné par leur fortune, de sorte que dignités extérieures et facultés intérieures ont tôt fait de se mettre au pas. Qu'il puisse espérer un instant, rêver, s'il gardait quelque sens des proportions, que César comblé se mesure avec lui vidé !... Antoine, ton bon sens lui-même est en déroute.

(Entre un serviteur).

Serviteur. — Un envoyé de César.

Cléopatre. — Quoi ! sans plus de cérémonie ? Voyez un peu, mes filles. Ils se bouchent le nez devant la rose épanouie, ceux qui l'adoraient en bouton. Qu'il entre.

Enobarbus. — Mon honnêteté et moi nous commençons à ne plus très bien nous entendre. C'est être fou, que de demeurer fidèle à un fou. Et pourtant celui qui demeure féal alors que son Seigneur pâlit, celui-là domine le dominateur de son maître et inscrit son nom dans l'histoire.

(Entre Thyréus).