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Il est bien évident qu’aux yeux d’aucun des grands écrivains de l’âge classique le germe, le plasma intelligible, dont ils sentaient leur cerveau tapissé et en quoi ils reconnaissaient la substance de leur œuvre, n’apparaissaient comme des choses qu’ils eussent simplement à chasser, à expulser telles quelles devant eux. Comme un objet plutôt, qu’il leur fallait explorer, pénétrer, conquérir. Ils se concevaient spontanément dans un certain rapport avec une réalité, qui, alors même qu’elle leur était intérieure, restait distincte de leur faculté inventive et réclamait simplement son emploi. Même dans la plus folle fantaisie, ils se considéraient comme en bride ; ils se voyaient partie d’un système sur les éléments étrangers duquel ils ne s’accordaient qu’un pouvoir restreint. Ils étaient auteurs dans la mesure seulement où ils poussaient à l’évidence certaines données confuses qu’ils n’avaient nulle conscience d’avoir eux-mêmes engendrées.

Tous les classiques étaient implicitement positivistes : ils acceptaient le fait d’un monde, aussi bien intérieur qu’extérieur, et l’obligation de l’apprendre. Peu leur importait le degré de sa réalité, et s’il était par hasard une simple fulguration de leur moi. Ils recevaient en toute simplicité sa borne. Même s’ils se fussent attribué un certain pouvoir métaphysique d’émanation, ils eussent pris grand soin d’en maintenir distincts leur don d’écrivain et leur capacité créatrice. Jamais ils n’eussent songé à employer ceux-ci à autre chose qu’à éclaircir, et, si l’on veut, (car l’effort de mise au point n’exclut pas l’imagination) à transfigurer la réalité qui était sous les yeux de chacun.