Page:NRF 15.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
shakespeare : antoine et cléopatre
21

colleter avec des faquins qui sentent la sueur : mettons que cela lui va bien — encore qu'il faille un rare tempérament pour n'être pas flétri par ces excès ; mais il ne peut trouver d'excuse lorsqu'il fait retomber sur nous tout le poids de sa légèreté. Qu'il emplisse de volupté le vide de ses loisirs c'est à la dyspepsie et à la gravelle à lui demander des comptes. Mais dissiper en plaisirs un temps qui bat la générale et parle aussi distinctement que son intérêt et le nôtre, c'est mériter d'être réprimandé comme un enfant, déjà mûr en savoir qui, pour un fugace plaisir, met son expérience en gage, et se rebelle contre la raison.

(Entre un messager.)

Lépide. — Voici d'autres nouvelles.

Messager. — Tes ordres ont été suivis ; il ne se passera point d'heure, noble Octave, que tu ne sois averti de ce qui se passe au dehors. Pompée tient la mer ; et tous ceux-là semblent l'aimer qui ne savaient que craindre César. Il voit affluer les mutins vers les ports et la rumeur publique proteste en sa faveur.

Octave. — J'aurais dû le prévoir. L'histoire de tous les temps nous enseigne que celui qui est, n'est souhaité que jusqu'à ce qu'il soit et que l'homme en disgrâce, qu'on n'aimait point tandis qu'il méritait d'être aimé, devient cher au peuple par son absence. Cette foule incertaine, je la compare à l'épave que ballottent courants et marées et que ce mouvement de va-et-vient désagrège.

Messager. — César, apprends aussi que la mer est de part en part sillonnée par les navires de Ménas et de Ménécrate, ces pirates fameux. Souvent ils poussent leurs