Page:NRF 15.djvu/318

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dans les pays protestants ; elle a au contraire l’essentiel de ses origines et le meilleur de sa floraison dans la France catholique, celle de Montaigne et du xviie siècle. Il est probable que les analystes romands doivent une part de leur don à la culture française, et que la mise en contact de cette culture avec des conditions de vie locale soustraites en partie à l’influence française, riches de sève indépendante et originale, lui a fourni ses traits particuliers.

M. Robert de Traz, qui connaît son pays et qui donna l’an dernier dans son roman de la Puritaine et l'Amour un curieux et fin morceau de psychologie genevoise, marque avec justesse ces traits particuliers. Les analystes romands « ne montrent pas la sociabilité aimable qui a tourné les moralistes et les romanciers français vers l’observation d’autrui. » Ils concentrent la leur tout entière sur eux-mêmes. Fils spirituels de Rousseau, ils rendent à leur manière et propagent cette souveraineté du sens individuel, triomphante après lui dans la littérature. Ils rompent l’équilibre que les analystes français, de Montaigne à Vauvenargues, avaient maintenu entre l’homme individuel qui regardait en lui et les hommes qu’il regardait à travers lui ou à travers l’expérience desquels il se regardait. Surtout, à la différence des analystes français, ce sont des scrupuleux et des timides. Montaigne, Pascal, La Rochefoucauld, La Bruyère ont vécu une vie franche, hardie, ont pris librement et fortement leur jour sur eux-mêmes et sur l’homme, ont participé à la volonté simple, au calme, au grand œil clair de l’âge classique. Chez les romands l’analyse ne va pas sans la conscience d’une simple impuissance, d’une inaptitude à la vie réelle, à laquelle la vie intérieure donne un substitut magnifique, solitaire et triste. Jamais ce cas, poussé à sa forme pathologique, n’a éclaté plus singulièrement qu’en Rousseau. Les Confessions nous apprennent à quel point il était rongé par les pires