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350 LA NODVELLE REVUE FRANÇAISE

heures et embrasser simultanément la succession des siècles et des minutes. Un beau soir, un peu fatigué de ces panoramas champêtres, je me glissai dans un train et fis, caché sous une banquette pour ne pas payer mon billet, le chemin de C... à Paris. Cette position ne m'incommoda pas, dans la connaissance où j'étais qu'un préjugé seul amène les voyageurs à en préférer une autre. J'utilisai le trajet à m'accoutumer à regarder le monde du ras du sol, ce qui me permit de me faire une idée des représentations qu'en ont les animaux de basse taille. Puis je m'avisai qu'à l'inverse de mon passe-temps habituel rien n'était plus aisé que de reporter sur plu- sieurs plans ce que l'on voit sur un seul : il suffit de fixer obliquement ce qu'on veut dissocier au lieu de le regarder de champ. J'appliquai immédiatement ce pro- cédé pour éloigner de ma figure les bottes du voyageur assis au-dessus de moi. Dans l'enthousiasme de ces exercices, je scandai mentalement, au bruit rythmé du train sur le ballast, des poèmes qui faisaient bon marché du principe d'identité lui-même. »

Anicet se permit de l'interrompre : « Vous êtes donc aussi poète, Monsieur ? »

— A mes moments perdus, reprit le narrateur. J'arrivai donc à destination dans la plus heureuse dispo- sition d'esprit. Songez à ce qu'est Paris pour un garçon de seize ans qui sait s'émerveiller de tout et de mille manières. Dès la gare, je me sentis transporté : ce mou- vement, les maisons chargées de la perspective, cette façon originale d'écrire CAFÉ au fronton des palais, les fêtes lumineuses du soir et les murs couverts d'hyper- boles, tout concourait à ma joie. Il y avait peu d'appa-

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