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shakespeare : antoine et cléopatre
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Holà ! — Je sens sur moi l'ardente tunique de Nessus ! Hercule ! s'il est vrai qu'en moi tu reconnais ton sang, enseigne-moi comment tu sus lancer Lychas par-dessus les cornes de la lune, et qu'à l'exemple de ta main, qui sut manier la massue, cette main sache en finir enfin avec moi-même. Mais elle doit mourir aussi, la sorcière. A ce garçon romain, la garce m'a vendu, et c'est sous son complot que je succombe.Elle mourra. Eros ! Eros !

(Entre Eros.)

Eros ! peux-tu me voir encore ?

Eros. — Parbleu ! Seigneur !

Antoine. — Parfois nous voyons un nuage prendre l'aspect d'un dragon, d'un lion, d'un ours ; parfois quelque vapeur errante offre l'image d'une tour, d'un château, d'un rocher crénelé, d'une montagne abrupte, ou d'un promontoire azuré couvert d'arbres, que notre œil abusé voit chanceler dans l'air. As-tu bien observé parfois ces crépusculaires fantômes ?

Eros. — Certes, Seigneur.

Antoine. — A l'instant, c'était un cheval, puis, fuyant comme la pensée, ce n'est plus rien ; cela se fond, se résorbe, ainsi que de l'eau dans de l'eau.

Eros. — Oui, mon Seigneur.

Antoine. — Eros, cher brave enfant. Ton maître désormais n'a pas plus de réalité que ces apparences ; ici je suis peut-être Antoine, mais je ne puis maintenir plus longtemps cette forme visible, mon enfant ; oui, j'ai combattu pour l'Egypte, pour cette reine, je croyais que j'avais son cœur, car elle avait le mien... ce cœur qui m'attirait tant de cœurs, lorsque j'en disposais