NOTES 465
délicat et fragile des sons de notre langue, à bousculer toutes les valeurs phonétiques et rythmiques qui sont le corps d'un vers français. Cela n'empêchera pas un méri- dional de faire des vers français à la suite, comme Santeul ou Jouvency faisaient des vers latins, et Frédéric II des vers français à la suite, mais cela lui interdira d'y faire fonction de maître et de créateur. Ainsi un homme du Nord comme Lucien-Bonaparte Wyse faisait des vers provençaux à la suite, ainsi un autre Frédéric II, le petit-fils de Barberoussc, en faisait quand la poésie provençale rayonnait sur l'Europe du même éclat presque que plus tard la poésie française classique. Ce n'est pas une question de sang et de race, mais une question d'oreille. Si à l'âge d'un an les parents du petit Racine l'avaient envoyé chez son oncle d'Uzès et s'il y était resté jusqu'à quinze ans, il n'y aurait pas de poésie racinienne, et si par un miracle impossible le démon du théâtre l'avait tout de même emporté chez lui, sa Phèdre n'eût pas été versifiée d'une façon bien supérieure à celle de Pradon. Il aurait pu ne pas y apprendre cent mots de patois : néanmoins l'accent du Midi, qu'il eût nécessairement contracté, n'eût pas permis à son oreille de développer la corde suprême, à son génie d'ouvrir dans le cœur du vers français la chambre la plus secrète de sa musique. Inversement un enfant issu de parents avignonnais ou toulousains, élevé à Paris dans la seule langue française, ne présentera sans doute aucun vice rédhibitoire qui puisse l'empêcher de devenir un Ronsard ou un Victor Hugo. La même observation peut être faite, semble-t-il, pour la Suisse romande que pour le Midi. Elle a donné de grands prosateurs, à la France, pas un seul poète. On ne saurait invoquer cependant les mêmes causes. Les grands prosateurs de ce pays, Rousseau, Madame de Staël, Constant, Amiel, sont rendus, par certains de nos critiques, responsables de la poésie romantique (les deux premiers du moins) et pourtant Rousseau et Amiel, s'ils
�� �