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LETTRE A UN HISTORIEN 45

une petite feuille de texte dans une véritable marge de chenilles !

Innocentes manies, direz-vous. — Mais non; car elles sont l'indice d'une tendance qui nous blesse. L'intelli- gence choisit les aliments, mais l'instinct les digère. Soyez nos yeux et nos mains, mais laissez-nous être estomacs ; laissez-nous cette appétence par laquelle nous prenons possession d'un texte, ce mouvement de sym- pathie par lequel nous entrons dans l'intimité d'une grande figure. Ce n'est pas que nous intercédions en faveur d'illusions et de légendes. Vous pouvez nous défigurer un personnage traditionnel sans que nous nous plaignions ; l'histoire en propose assez d'autres à notre admiration. Dans la clarté de jugement vers la- quelle vous vous efforcez, ce n'est pas la clarté qui nous inquiète, c'est la rage de juger ; c'est ce perrin-dandisme ergoteur qui fait du moindre chartiste un greffier de tribunal. Quelle bonne foi ne serait déroutée par la méfiance tatillonne dont vous nous faites la première des règles ? Oubliez-vous que nul n'est plus dupé que les méfiants ?

C'est quelque chose que l'exactitude des faits. C'est votre honnêteté, mais une honnêteté négative. L'histoire, tout de même, ne commence réellement qu'aux mobiles et au retentissement des événements chez les individus ou les peuples. Tel trait peut être aussi vrai qu'on vou- dra, il est mensonger s'il exprime pour nous des senti- ments que n'éprouvaient pas les hommes de l'époque. Je crois sans peine qu'au xvii' siècle on mangeait mal- proprement ; mais si je m'irrite à vous voir tant insister sur ces doigts plongés dans les plats ou ces dentelles

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