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566 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

interminable : j'allais me retrouver en face de celui qui

��m'aimait tant.

��— Comme il t'aimait ! » interrompt Madame Pincen- grain, qui descend de son fauteuil et prend une chaise pareille à celles de ses filles, pour se rapprocher de Véro- nique.

— « Je marche longtemps. J'arrive au petit pont de pierre. Un bruit de pas presque nombreux vient au- devant de moi. Je lève les yeux. La bière sur la route s'avance, couverte d'un drap rouge, « la Libre-Pensée » entre les paysans. Elle est à deux pas de moi. Je pourrais la toucher de la main. On dirait qu'elle tremble sur les épaules des hommes. Elle va s'arrêter ? Elle passe, comme si je lui étais étrangère. Les paysans se découvrent devant moi. Je vais pour les suivre; miais la Gerboise est là qui marche toute seule. Je m'appuie au parapet du pont. Des femmes que je ne connais pas, revêtues de longues mantes, soulèvent leur voile pour me voir. Quand elles sont au bout de la route, je me décide à avancer. Je ne pensais à personne qu'aux arbres qui dansaient loin de moi de chaque côté de moi et à la route interminable qui remuait sous mes deux pieds. Au cimetière, je n'ai jamais été si lasse de ma vie. La Gerboise m'a embrassée. Il y avait avec elle deux: enfants que je n'ai pas regardés, qui devaient être mes frères. Plus loin, j'ai rencontré sa fille Lucie. Je n'ai pas pu m'empêcher de lui demander quelle était la physio- nomie de père, quand il est mort. — « 11 était devenu très gros, m'a-t-elle dit, et il ne se lavait plus. » Alors Madame Pincengroin tressaillit dans sa chair et son cœur qui allait se briser ne se brisa pas.

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