6lO LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
fréquenté de popote pour ignorer que les propos de table, lorsqu'ils cessent d'être bas ou frivoles, agitent volontiers les plus graves problèmes. La conversation qui s'échaufte en traversant la zone politique aboutit bien vite à une discussion sur l'immortalité de l'âme et s'arrête dans ce cul-de-sac. M. Pierre Lièvre a mis en présence deux interlocuteurs principaux, de formation intellectuelle et morale diti'érente et de caractère tranché. J'ai cru reconnaître sous la veste d'aviateur, Alceste et Philinte, à cela près qu'Alceste est devenu catholique fervent et non moins fer- vent disciple de M. Maurras et brûle de se dévouer à cette humanité qu'il doit faire effort pour ne pas mépriser. Phi- linte, de son côté, est républicain modéré ; il professe la tolérance et l'éclectisme, mais sa culture artistique et litté- raire s'étend au delà de Rimbaud et Jusqu'aux terres mysté- rieuses du cubisme. Autour de ces protagonistes entre lesquels se noue et se dénoue une amitié dont NL Pierre Lièvre suit avec une délicatesse infinie les moindres détours, des per- sonnages secondaires observés sans parti pris d'indulgence ou de dénigrement, sont dessinés d'un trait sobre et juste. L'auteur n'hésite pas à marquer les ridicules et les faiblesses de braves gens entre lesquels la mort fait un choix quasi- quotidien, mais il se garde de les rendre odieux. Exciter à l'extrême la pitié ou la haine lui paraît un jeu trop vul- gaire. Il sait aussi sacrifier le détail réaliste à lavérité générale. Le cadre est discrètement esquissé, mais bien vu. Je n'ai pas souvenir d'avoir rien lu qui rendît aussi heureusement les impressions que laisse le vol mécanique. Une Amitié est l'un des très rares ouvrages traitant des choses de l'air, où ne se rencontrent pas des descriptions extravagantes d'invraisem- blables manœuvres, dont les professionnels ne sont pas moins prodigues que les romanciers d'aventures aérien- nes.
Q.uant au style de l'ouvrage, il est d'une perfection aisée
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