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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Nous venions d’arriver. Pendant que maman et Marie s’occupaient à défaire les malles, j’échappai. Je courus au jardin ; je pénétrai dans cet étroit ravin ; par-dessus les parois schisteuses, de hauts arbres penchés formaient voûte ; un ruisselet fumant, qui s’échappait de l’établissement thermal, chantait au bord de mon sentier ; son lit était tapissé d’une épaisse rouille floconneuse ; j’étais transi de surprise, et, pour exagérer mon ravissement, je me souviens que j’avançais les bras levés, à l’orientale, ainsi que j’avais vu faire à Sindbad dans le Vallon des Pierreries, sur une image de mes chères Mille et une Nuits. La faille aboutissait à la rivière, qui faisait coude à cet endroit et dont l’eau rapide, en venant buter contre la falaise schisteuse, l’avait profondément creusée ; le haut de la falaise était frangé par l’inculte prolongement des jardins de l’hôtel : yeuses, cistes, arbousiers et, courant d’un arbuste à l’autre, puis retombant en chevelure, dans le vide hésitant au-dessus des eaux, le smilax aimé des bacchantes. La limpidité de la rivière éteignait aussitôt l’ardeur ferrugineuse des sources ; des troupeaux de goujons jouaient parmi les débris ardoisés faits du délitement des roches ; celles-ci ne s’abaissaient qu’un peu plus loin, en aval, où plus lentement coulaient des eaux plus profondes ; en amont, l’étrécissement de la rivière en précipitait le cours : il y avait des remous, des bondissements, des cascades, des vasques fraîches où l’imagination se baignait ; par endroits lorsqu’un avancement de la falaise barrait la route, de grandes dalles espacées permettaient de passer sur l’autre rive ; par endroits les falaises des deux rives à la fois se rapprochaient : force était de gravir, quittant le bord des eaux,