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768 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

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��Un artiste, un écrivain, laissent derrière eux une œuvre et un nom, et ces deux héritages peuvent être d'importance égale ou inégale. J'entends par œuvre une œuvre qui con- tinue à être lue, par nom un nom qui ne constitue pas un mot vide, mais pour l'esprit la représentation d'un être indéfiniment et originalement vivant. Pour un Rousseau ou un Constant l'un et l'autre sont à peu près de poids et d'amplitude pareils : un nom qui évoque une ligne, une forme originale de vie ou de pensée, une œuvre, Confes- sions ou .Adolphe, qui demeure constamment actuelle et fréquentée. De l'abbé Prévost il ne reste pas de nom, — rien que des syllabes mortes comme celles de Gutenberg ou de Parmentier — mais une œuvre, Manon Lescant. De Buffon ou de Madame de Staël il ne reste pour ainsi dire pas d'œuvre, en ce sens que leurs livres ne sont plus lus que par des professionnels, mais il reste de grands noms parce que l'un et l'autre ont été des centres de pensée ou de sensi- bilité, des dates, des influences. Quand il s'agit de prévoir ce qui restera des Concourt, nous pouvons hésiter sur l'œuvre plus que sur le nom.

Leurs romans datent aujourd'hui beaucoup, et bien qu'il y en ait la moitié qu'il m'arrive de relire avec intérêt et plaisir, je suis bien sûr qu'aucun d'eux ne conservera autant de lecteurs que YEducation Sentimentale, Bel-Ami ou Sapho. Jules Lemaître, parlant de Charles Demailly, dit qu'on n'a jamais eu dans un journal plus d'esprit que les Concourt n'en prêtent à la rédaction du Scandale. Or c'est de l'esprit qui paraît aujourd'hui grimacer comme le sourire d'une tête de mort, le même à peu près que celui qu'on trouve dans VEtienue Mayran de Taine, qui en est contemporain et qui est devenu sinistre. Je sais bien que rien ne se démode

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