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7^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Sa vie était à la fois ce qu'elle savait qu'elle était, et une autre vie, qui se passait sur un plan supérieur, dans la région de tous les raffinements du luxe, de l'esprit et de la passion. Ce qu'il y avait de curieux, c'est qu'elle par- venait à faire coïncider ces deux plans et savait passer de la retenue et même de la pruderie les plus complètes à un abandon effréné, et parfois elle arrivait même à réunir en elle, dans le même instant, la « sainte et le démon. » Elle avait aussi un certain sens du pittoresque. Ainsi elle aimait Marc (elle se disait qu'elle l'aimait, alors qu'en réalité elle n'avait rien de plus, à son égard, qu'un attachement affectueux), elle 1' « aimait », entre autres raisons, parce qu'il était né et avait été élevé sur le Continent. Il était à ses yeux un homme « d'une autre race », un peu mystérieux, un peu déroutant, mais assurément plus tendre et plus empressé que ceux qu'elle avait connus jusqu'alors. Et quand, le dimanche matin, Marc sortait pour aller à la petite chapelle catho- lique romaine pour entendre la messe, elle s'exaltait en songeant à ces pays qu'elle n'avait jamais vus : la France, l'Italie, l'Espagne, ces nations ardentes, roma- nesques et pleines d'une corruption raffinée! Et Marc, qui s'était aperçu de ce penchant d'Edith, s'amusait à lui parler des nuits italiennes, à lui raconter des scandales parisiens, et à lui décrire des courses de taureaux.

Il aimait trouver chez elle cette curiosité sympathique, et la regardait comme une preuve d'ouverture d'esprit. Mais à côté de cela, elle avait un goût fâcheux pour ce qu'elle appelait « la vie intellectuelle ». Elle avait lu beaucoup, et d'abord des romans, dont quelques-uns lui avaient révélé l'existence de grandes choses vagues.

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