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Page:NRF 15.djvu/827

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SI LE GRAIN NE MEURT... 82 1

s'amusent de mon désarroi ; mais, devant ces boulever- sements, j'éprouve une secrète tristesse, comme lors- qu'on retrouve pères de famille d'anciens amis qu'on imaginait devoir toujours rester garçons.

L'autre souvenir est celui d'une conversation avec Albert Démarest. Quand nous étions à Paris, il venait dîner chez nous une fois par semaine, accompagnant sa mère. Après dîner, ma tante Claire s'installait avec maman, devant une partie de cartes ou de jacquet ; Albert et moi nous nous mettions au piano, d'ordinaire. Mais, ce soir-là, la causerie l'emporta sur la musique. Qu'avais- je pu "dire pendant le dîner, je ne sais plus, qui parut à Albert mériter d'être relevé ? Il n'en fit rien devant les autres et attendit que le repas fut achevé ; mais sitôt après, me prenant à part...

J'avais pour Albert, à cette époque déjà, une espèce d'adoration ; j'ai dit de quelle âme je pouvais boire ses paroles, surtout lorsqu'elles allaient à l'encontre de mon penchant naturel ; c'est aussi qu'il ne s'y opposait que rarement et que je le trouvais d'ordinaire extraordinaire- ment attentif à comprendre de moi précisément ce qui risquait d'être le moins bien compris par ma mère et par le reste de la famille. Albert était grand ; à la fois très fort et très doux ; ses moindres propos m'amu- saient inexprimablement, soit qu'il dît précisément ce que je n'osais point dire, soit même ce que je n'osais pas penser ; le son même de sa voix me ravissait. Il repré- sentait pour moi l'art, la liberté, la franchise. Je le savais vainqueur à tous les sports, à la nage et au canotage surtout ; et après avoir connu l'ivresse au grand air du bel épanouissement physique, la peinture, la musique et

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