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Page:NRF 15.djvu/915

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SOUVENIRS SUR TOLSTOÏ 909

font passer pour des reliques-, et vendant ce qu'ils appellent les « petites larmes de Notre-Dame » et « les ténèbres d'Egypte ». Un de ces apôtres, je me rappelle, étant à Yas" naya Poliana, refusa de manger des^ œufs, craignant de faire tort aux poules, et au buffet de la gare de Toula> il man- gea de la viande avec voracité disant : v II exagère, le vieux ! »

Presque tous, ils aiment à se plaindre, et s'embrassent volontiers l'un l'autre ; ils ont tous des mains moites et molles, et le regard faux. En même temps ce sont des êtres pratiques, et qui s'entendent à bien diriger leurs affaires en ce monde.

Léon Nicolaïevitch, cela, va sans dire, savait apprécier à leur juste valeur les Tolstoïens. Et il en était de même de Sulerzhizky que Tolstoï aimait tendrement, et dont il ne parlait jamais autrement qu'avec clialeur, je dirais presque avec une juvénile ardeur. Un jour, à Yasnaya Poliana, un de ces Tolstoïens expliquait éloquemment combien sa vie était devenue heureuse et combien pure son âme, depuis qu'il avait embrassé la doctrine de Tolstoï. Lécm Nicolaïevitch se pencha vers moi, et me dit à voix basse: « Il ment tout le temps, le coquin, mais s'il le fait, c'est pour me plaire. »■

Beaucoup de gens s'essayaient à lui plaire, mais je n'ai pas remarqué qu'ils aient su bien jouer leur rôle ou s'y prendre avec quelque adresse. Il n'abordait que rarement avec moi les questions du pardon universel, de l'amour du prochain, les Evangiles ou le Bouddhisme, qui étaient ses sujets favoris, évidemment parce qu'il avait tout de suite senti que cela ne « prenait » pas avec moi.

Lorsqu'il le voulait, il pouvait être d'un charme, d'une finesse et d'un tact extraordinaires. Sa conversation vousfas- cinait tant par sa simplicité que par son élégance. Mais par- fois aussi, on éprouvait à l'écouter un malaise pénible. Ce qu'il disait sur les femmes m'a toujours déplu, il était incroyablement «vulgaire », et il y avait dans ses paroles

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