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SOUVENIRS SUR TOLSTOÏ 913

chant évidemment ce qu'il A'etiait de faire, il dit : « Je n'aurais pas dû crier; pourquoi au fond ne l'avoir pas laissi^ ■faire. »

Un jour, évoquant des souvenirs deTiflis, je mentionnai le nom de V. V. Flerowski-Bervù. « L'avez-vous connu? me de- manda Léon Nicolaïevitch avec intérêt. Dites-moi quelle sorte d'homme il est. »

Je lui parlais de Flerowski, je le décrivais grand et mince, •avec une longue barbe et des yeux immenses, portarït d'habitude une blouse de toile à voile, qui lui descendait très bas. Je racontais comment il parcourait avec moi les sentiers des montagnes de la Transcaucasie, armé d'une ombrelle de toile, et pour\Ta d'un sac qui contenait du riz cuit au vin rouge, et qu'il attachait à sa ceinture ; com- ment nous rencontrâmes, sur un sentier, un -buffle, et fûmes obligés de battre prudemment en retraite, tout en mena-

çant l'animal de l'ombrelle ouverte, au risque, chaque

fois que nous faisions un pas en' arrière, de tomber dans le précipice. Tout à jcoup, je remarquai qu'il y avait des larmes dans les yeux de Tolstoï, et je m'arrêtai court.

— Ne faites pas attention, dit-il, poursuivez, poursuivez. Cela fait plaisir d'entendre parler d'un véritable homme. C'est bien comme cela que je me l'étais imaginé, unique de son espèce. De tous les écrivains qui se sont attaqués à l'ordre établi, c'était le plus mûr et le plus capable ; dans -son « Alphabet », il prouve de la façon la plus convain- cante, que toute notre civilisation est barbare, que la vraie culture ne se trouve que chez les nations pacifiques et faibles, et non chez les fortes, et que la lutte pour la vie est une invention mensongère, par laquelle on essaye de donner une justification au mal. Vous, évidemment, ne partagez pas cette opinion, mais Daudet, vous le savez, la partage. Vous souvenez-vous de son Paul Astier ?

— Mais comment réconcilierez-vous la théorie de Fkrowskri

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