du premier déjeuner, ma grand’mère eût-elle été agonisante, que Françoise se fût éclipsée à temps pour ne pas être en retard. Elle ne pouvait être suppléée en rien par son jeune valet de pied. Après avoir pris chez moi, à l’exemple de Victor, tout mon papier à lettres, il s’était mis, de plus, à emporter des volumes de vers. Il les lisait une bonne moitié de la journée par admiration pour les poètes qui les avaient composés, mais aussi afin, pendant l’autre moitié de son temps, d’émailler de citations les lettres qu’il écrivait à ses amis de village. Certes, il pensait ainsi les éblouir. Mais, comme il avait peu de suite dans les idées, il s’était formé celle-ci que ces poèmes trouvés dans ma bibliothèque étaient chose connue de tout le monde et à quoi il est courant de se reporter. Si bien qu’écrivant à ces paysans dont il escomptait la stupéfaction, il entremêlait, comme on verra, ses propres réflexions de vers de Lamartine, comme il eût dit : qui vivra verra, ou même : bonjour.
À cause des souffrances de ma grand’mère on lui permit la morphine. Malheureusement si celle-ci les calmait, elle augmentait aussi la dose d’albumine. Les coups que nous destinions au mal qui s’était installé en grand’mère, portaient toujours à faux, c’était elle, c’était son pauvre corps interposé qui les recevait, sans qu’elle se plaignît qu’avec un faible gémissement. Et les douleurs que nous lui causions n’étaient pas compensées par un bien que nous ne pouvions lui faire. Le mal féroce que nous aurions voulu exterminer, c’est à peine si nous l’avions frôlé, nous ne faisions que l’exaspérer davantage, hâtant peut-être l’heure où la captive serait dévorée. Les jours où la dose d’albumine avait été trop forte, Cottard, après une hésitation, refusait la morphine. Chez cet homme si insignifiant, si commun, il y avait, dans ces courts moments où il délibérait, où les dangers d’un traitement et les dangers d’un autre se disputaient en lui jusqu’à ce qu’il s’arrêtât à l’un, la sorte de grandeur d’un général qui, vulgaire dans le reste de la vie, est un grand stratège, et qui dans un moment périlleux, après avoir