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2 $6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

et délibérément absurdes : et ils sont toujours vrais ; en chacun d'eux le moment est saisi au passage. M. de La Mare règne en maître sur tout ce domaine de sentiments que l'on peut à peine définir, dans leur étrange mélange de terreur et de joie, et au- quel nous appliquons notre vieux terme si commode : « eery », un mot qui nous suggère le hurlement du vent d'hiver dans des lieux désolés, les ombres qui peuplent la forêt sous le clair de la lune, une vieille maison qui dans le silence de la nuit se remplit d'agitations et de craquements mystérieux : les signes de présences inconnues auxquelles nous croyons et ne croyons pas, qui sont à nos yeux les bienvenues et dont pourtant nous nous écartons avec un frisson, émus à la fois de crainte et de joie devant ces ténèbres qui entourent l'enceinte de l'expé- rience quotidienne. Je voudrais citer un poème qui est plein de ces frémissements exquis et qui me semble mettre en valeur, la manière délicate deM. de La Mare à ses meilleurs moments : c'est un poème intitulé : Les Ecouteurs. Je le donnerai en entier.

Imaginez-vous les profondeurs d'une forêt pendant une nuit de clair de lune intense, et ne supposez pas que vous rêviez, car dans la scène que je vais vous décrire, il n'y a rien de ces solutions de continuité, de ces contradictions qui carac- térisent le rêve. Tout simplement, vous avez quitté le monde où règne la mesure ordinaire du temps, et quand vous entendez le bruit sourd des sabots d'un cheval, vous savez que le cava- lier parcourt la forêt avec une mission étrange du temps jadis pour accomplir quelque vœu périlleux. Il chevauche et che- vauche, et il arrive à une maison à tourelles, dans une clairière de la forêt. Aucun signe de vie dans la maison, les fenêtres sont sombres, mais le voyageur s'arrête, car ceci est le terme de son expédition, et il doit se raidir pour rompre le silence lugubre.

Voici le poème :

« Is there anybody there, » said the Traveller,

Knocking on the moonlit door ; And his horse in the silence champed the grasses

Of the forest's fernv floor : And a bird flew up out of the turret.

Above the Traveller's head :

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