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268 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

SocRATE. — L'homme, et l'esprit de l'homme.

Phèdre. — Mais alovs, n'as-tu pas rencontré, parmi les hommes, certains dont la passion singulière pour les formes et les apparences t'ait surpris ?

SocRATE. — Sans doute.

Phèdre. — Et dont l'intelligence pourtant, et les vertus ne le cédaient à aucunes ?

SocRATE. — Certes !

Phèdre. — Les plaçais-tu plus haut ou plus bas que les philosophes ?

SoCRATE. — Cela dépend.

Phèdre. — Leur objet te paraissait-il plus bu moins digne de recherche et d'amour que le tien même ?

SocRATE. — Il ne s'agit pas de leur objet. Je ne puis penser qu'il existe plusieurs Souverain Bien. Mais ce qui m'est obscur, et difficile à entendre, c'est que des hommes aussi purs quant à l'intelligence, aient eu besoin des formes sensibles et des grâces corporelles pour atteindre leur état le plus élevé.

Phèdre. — Un jour, cher Socraie, je parlais de ces mêmes choses avec mon ami Eupalinos.

— Phèdre, me disait-il, plus je médite sur mon art, plus je l'exerce ; plus je pense et agis, plus je souffre et me réjouis en architecte ; — et plus je me ressens moi-même, avec une volupté et une clarté toujours plus certaines.

Je m'égare dans mes longues attentes; je me retrouve par les surprises que je me cause ; et au moyen de ces degrés successifs de mon silence, je m'avance dans ma propre édification ; et j'approche d'une si exacte correspon- dance entre mes vœux et mes puissances, qu'il me semble d'avoir fait de l'existence qui me fut donnée, une sorte d'ouvrage humain.

A force de construire, me fit-il, en souriant, je crois bien que je me suis construit moi-même.

Socrate. — Se construire, se connaître soi-même, sont-ce deux actes, ou non ?

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