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NAUFRAGE DE LA « VILLE DE SAINT-NAZAIRE » 33 1

d'un sommeil de plomb, et il en fut de même de mes camarades.

Le Capitaine du Maroa avait donné des ordres pour que l'on nous fît pendant notre sommeil un excellent bouillon de poulet. Quand ce bouillon fut prêt, on vint nous réveil- ler pour nous le faire prendre. Je me souviens, lorsque j'ouvris les yeux, que je ne vis rien autour de moi ; je fus longtemps avant d'apercevoir le Capitaine du Maroa lui- même, qui me tendait le bouillon réconfortant. J'avais, paraît-il, les yeux ouverts, que je dormais encore. Je n'avais aucune notion de ce qui se passait autour de moi ; je ne me souvenais de rien ; j'étais comme un homme qui aurait dormi des mois entiers et qui aurait tout oublié à son réveil.

Enfin, peu à peu, la lumière se fit dans mes yeux, et j'aperçus tout près de moi le Capitaine Adams, entouré de deux ou trois personnes, qui me présentait une tasse de bouillon, que je bus avec bonheur. En reconnaissant le Capitaine, la mémoire de ce qui venait d'arriver me revint aussitôt et en me remémorant les six affreux jours passés dans la baleinière, je rendis grâce à Dieu de nous avoir sau- vés d'une mort certaine, en nous plaçant heureusement sur le chemin du Maroa,

Il m'est impossible de décrire toutes les pensées tristes et gaies qui envahirent à partir de ce moment mon cerveau. En me souvenant de mes camarades morts si tristement, le sentiment de ma responsabilité me forçait à me questionner et à me demander si j'avais bien fait tout ce que je devais pour les arracher à la mort. Je mettais mon esprit à la tor- ture pour découvrir les moyens par quoi j'aurais pu sauver mon navire et tout mon monde ; car je me doutais bien (d'après ce qui s'était passé dans mon canot) que les pertes ne se bornaient pas à celles dont j'avais été témoin et que la mort avait fauché largement dans les autres embarcations. Mais j'eus beau chercher ; il m'apparut toujours que je ne pouvais rien faire de plus. L'abandon du paquebot s'im-

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