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NOTES 493

déterminer des influences, surtout chez un homme dont le déve- loppement a été si mystérieux et si complexe ! M. Andler, en remontant cette série des précurseurs, s'arrête à Montaigne, ce qui est peut-être un peu arbitraire : on pouvait faire de Platon un « précurseur » bien qu'il n'ait pas tardé à devenir pour Nietzsche une sorte d'ennemi personnel : n'a-t-il pas fait soute- nir par Calliclès dans le Gorgias, et par Adimante dans la Répu- blique, des idées bien nietzschéennes ?

ALBERT THIBAUDET

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��LE DOCTEUR PIERRE BUCHER.

La France vient de perdre un des hommes qui ont fait le plus pour la défense de sa culture ; mais, dans le chagrin que nous cause un coup si soudain, comment distinguer entre le deuil national, celui de notre amitié et le simple regret humain devant la disparition d'un si actif et brillant génie ?

Non seulement le Docteur Bûcher représenta l'âme de l'Al- sace pendant les années difficiles qui précédèrent la guerre, mais il redressa cette âme tourmentée, que tout contribuait à faire languir dans une attitude fausse et déjetée. Avant lui, les jeunes Alsaciens n'avaient le choix qu'entre deux maux : ou, pour rester français, quitter leur province à l'âge de dix-sept ans, sans intention de retour, abandonnant le sol, les usines, la fortune et l'influence aux immigrés allemands ; ou bien racheter le droit de rester dans le pays en passant par la caserne prus- sienne. Dans les deux cas, ils avaient le sentiment de trahir ; et si les premiers pouvaient assez vite oublier leurs regrets dans la plénitude de la vie française, les seconds restaient atteints d'une sourde gêne, d'une courbature qui peu à peu détruisait les plus belles qualités de la race. Pour opérer le rétablissement, pour transformer en détermination active, en ruse de guerre, ce qui n'avait été jusque-là que capitulation, en geste de conquête ce qui avait semblé compromis de vaincus, il fallait le courage d'une de ces natures passionnées qui, sans le savoir elles- mêmes, ont dès l'âge de vingt ans l'étoff'e des meneurs d'hom- mes. On peut aujourd'hui désigner de son vrai nom le jeune Ehrmann qui, dans Au Service de l'Allemagne, se décide à plier sous la loi de l'ennemi, afin de s'accrocher au sol et d'y orga-

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