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arraché à la nuit de la colère et de la haine, je trouve enfin de l’air à respirer. Il n’y a plus pour moi qu’une chose à faire... » C’est d’aller se dénoncer au comité révolutionnaire. La scène est émouvante. Dominant le tumulte, Razumov avoue avec orgueil, conscient de la valeur morale de son acte. Il paye courageusement et froidement sa dette, sans sentimental espoir, ni mysticisme.

On l’assomme et on le jette à la rue. Devenu infirme, escorté d’infortunes, il sombre dans un néant très anglais.

La comparaison avec Crime et Châtiment s’impose : le parallélisme des deux œuvres est tel qu’il semble voulu. Elles abordent le même problème — morale traditionnelle contre individualisme — , et le résolvent de même manière : similitude des scènes che:i les juges d’instruction, des épisodes capitaux de la confession. Même état d’âme chez Razumov et chez Raskolnikoff : orgueil cérébral, prétentions intellectuelles, débilité, impressionnabilité, laissez-aller suivis de réactions furieuses, avec désir de meurtre. Razumov voudrait étrangler Pierre Ivanovitch, Raskolnikoff Porphyre. Mêmes influences féminines agissant dans le sens « de la libération du conflit par l’aveu » — pour parler comme les Freudiens — , même répugnance des deux coupables au moment de se confesser. Tous deux cèdent à l’impératif d’une nécessité intérieure. Mêmes eff"orts pour ne pas prononcer le mot fatal, pour le faire deviner. « Je n’avais pas la simplicité ni le courage nécessaires pour être un coquin ou un homme exceptionnel, car qui donc en Russie peut distinguer l’un de l’autre ? », dit Razumov ; et Raskolnikoff : « J’ai voulu savoir si j’étais un homme dans toute l’acception du mot, capable de franchir l’obstacle, ou une vermine comme les autres; eh bien, je suis une vermine... «Sonia, dans Dostoievsky, s’écrie : « Il n’existe pas au monde d’homme plus malheureux que toi ! » et l’héroïne de Conrad, moins russe : « Il est impossible d’être plus malheureuse que moi ! » Après la confession publique, même départ pour l’expiation, et, si l’on veut, même paix après l’orage, mais combien sinistre et désolée chez Razumov, sans le moindre rayon d’espérance chrétienne : Raskolnikoff, au contraire, régénéré par le bagne et l’amour de Sonia recommence une vie nouvelle.

Les différences entre les deux œuvres sont à noter. Elles