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53^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

voit-on que la crainte et la menace ne sont pour rien dans cet ordre plaisant des échanges et du crédit ; tout métier est honnête par soi. Aussi y a-t-il quelque chose de scan- daleux en ce pouvoir militaire qui toujours menace, et toujours fait sentir la contrainte brutale, et la mort à celui qui résisterait ouvertement. Les utopies que l'on peut con- cevoir à ce sujet, d'une armée agissant par la fraternité seule et par la compétence reconnue des chefs, viennent de ce que la guerre est toujours oubliée. La guerre dépasse toujours les prévisions et le possible. Au moment où les forces humaines sont à bout, il faut marcher encore ; au moment où la position n'est plus tenable, il faut tenir en- core. L'art militaire s'exerce au delà de ce qu'un homme peut vouloir. Dans un homme écrasé par des forces inexo- rables, il y a encore de puissantes convulsions après le dernier éclair de volonté. La guerre s'achève par de telles convulsions, liées, coordonnées, armées; ce dernier sursaut de l'animal collectif donne la victoire. Jusque-là, la guerre est un jeu brillant, et non sans risques. Mais, comme on sait, le» plus brillant courage s'accommode avec la fuite ou la capitulation, dès que la partie est jugée perdue. Or c'est ici que l'art militaire produit ses derniers effets, à la stupeur du guerrier libre, qui dès lors est régulièrement battu. Le fameux Frédéric de Prusse est l'inventeur, dans les temps modernes, de cette guerre mécanique qui, outre qu'elle utilise l'enthousiasme, l'esprit de corps, la colère et la vertu, fait jouer toutefois la crainte par provision, et pousse par là un peu plus loin la pointe de son armée. Cette méthode retrouvée, toute armée devait l'adopter. Il n'y a aucun autre moyen de surmonter le plus haut degré de la terreur.

Non sans discours idylliques. Car il est pénible de se dire : « Comment savoir si la bonne volonté suffirait à ces actions sublimes, quand toutes les précautions sont prises au cas où elle manquerait ? » Cependant la tradition reste, assez soutenue par un esprit d'arrogance et de paresse ;

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