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596 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

futurs amoureux, de futurs avares, de futurs médecins, de futurs professeurs, de futurs députés, qui ressembleront aux innom- brables amoureux et avares, aux innombrables professeurs, médecins, députés. L'artiste qui ajoutera à cette série Domi- nique, Grandet, D'afoirus, Monneron, Leveau (j'en cite des grands et des petits) imite la nature en créant ses personnages, et le ternie imiter la nature a fini par prendre un sens assez clair pour me dispenser de toute explication. Mais pour créer le génie il ne faut pas imiter la nature, il faudrait être la nature, être une nature. On appelle génie précisément ce qui dans l'hu- manité correspond à cette imprévisible nouveauté, acte essentiel de la nature. On appelle génie ce qui dépasse l'imitation. Le génie, lui, imite la nature lorsqu'il crée les êtres que la nature ou la société produisent elles-mêmes en série, amoureux ou avares, professeurs ou médecins, députés ou membres de plu- sieurs sociétés savantes. Il ajoute alors à cette série, il met un nom de plus à l'état-civil, et de telle sorte que l'être qu'il ajoute à cette série exprime la série entière et que ce nom de plus qu'enregistre l'état-civil pourrait clore l'état-civil, rendre les autres inutiles. Mais si le génie imite ce que la nature crée en série, il ne saurait imiter le génie, qui est précisément ce qui ne saurait être produit en série. Si le génie réalise des types, il ne saurait réaliser le génie, qui est le contraire du type, à savoir l'individu, et l'individu absolu. Représenter le génie, ce sera nécessairement le représenter selon les lois de toute représenta- tion artistique, le représenter comme une généralité vivante qui nous paraîtra absorber tous les hommes de génie comme Grandet absorbe tous les avares, comme Juliette absorbe toutes les jeunes filles amoureuses, comme Arnolphe ou Mithridate absorbent tous les amoureux hors d'âge. Mais qu'est-ce à dire sinon que représenter le génie c'est détruire le génie, tuer la plante pour la classer dans un herbier, substituer à l'imprévi- sible le prévu et le donné ?

Seulement, comme l'art consiste après tout à surmonter des difficultés qui paraissaient d'abord insurmontables, on tâchera d'user d'un biais. Au lieu de regarder le soleil en face on le regardera dans l'eau. Considérons la seule œuvre qui, produite par le génie, ait pour sujet le travail du génie, la Recherche de l'Absolu. (Quant à Faust je ne crois pas qu'on puisse le consi-

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