Aller au contenu

Page:NRF 16.djvu/608

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

jamais en arrière, et qui progresse sans égard aux frontières, aux races. Chemin faisant, il tire aux « aînés » un grand coup de chapeau, mais leur fait défense d’influencer l’avenir. Le passé pour lui n’est qu’une galerie de portraits de grands hommes. Mais rien de ce qui leur a servi à faire des chefs-d’œuvre ne saurait plus nous être bon à rien. « Il semble impossible qu’un vrai poète veuille désormais s’imposer un instrument non seulement suranné, mais fâcheux. » Il s’agit de la « prosodie traditionnelle » ; mais cela tombe à pic sur le « vers libre » des symbolistes, qui est bien en effet tout ce qu’il y a de plus désuet et démodé.

Verlaine, qui avait tant d’autres trésors à gaspiller, faisait fi de la rime, ce bijou d’un sou. Pour M. Durtain la rime n’est plus qu’un « mauvais caillou ». Il préconise l’emploi du vers blanc. a Dans le langage, le rythme introduit la forme, le vers libre la mesure ; le vers blanc, la lutte entre la ligne régulière qu’il trace et l’idée ».

Cette dernière remarque s’applique moins justement au vers blanc qu’au vers régulier et rimé. S’il est vrai que cette lutte, cette opposition harmonieuse de la pensée et la forme soit favorable à la poésie, ce conflit ne peut exister que si la ligne a son indépendance propre, vis-à-vis de l’idée. Or, cette indépendance tire précisément son origine de cet ordre arbitraire qu’abomine M. Durtain. C’est en suscitant maint obstacle à la facilité de l’élocution courante, c’est en acceptant cette « contrainte rigoureuse » dont parle Houdart de la Motte que le poète se délivre ■de la servitude du langage vulgaire.

Certes il peut, par un effort de génie, inventer lui-même sa règle, au fur et à mesure. Mais cela ne va pas sans grande fati- gue et sans dépense inutile de force et d’ingéniosité.

Un poète aussi maître de sa langue que M. Jules Romains et qui a écrit de fermes et admirables pages de prose se donne une peine extrême pour créer des disciplines à son usage. Cela fait qu’il s’illusionne sur leur nouveauté et sur leur vertu :

Pas de place ici pour vous
événements périssables,
je vous laisserai dehors
avec le vent et la mer
étourdir d’autres mémoires
du Tonnerre qu’il leur faut,