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Et qui par ces soirs d’or où l’on se sent revivre
Versent quelque héroïsme au cœur du citadin.


Il semble impossible d’aller au delà. Et pourtant cette impression, Baudelaire a su la faire monter encore d’un ton, lui donner une signification mystique dans le finale inattendu où l’étrange bonheur des élus clôt une pièce sinistre sur les Damnés :


Le son de la trompette est si délicieux
Dans ces soirs solennels de célestes vendanges
Qu’il s’infiltre comme une extase dans tous ceux
Dont elle chante les louanges.


Ici il est permis de penser que chez le poète, aux impressions du badaud parisien qu’il était, se joint le souvenir de l’admirateur passionné de Wagner. Quand même les jeunes musiciens actuels auraient raison (ce que je ne crois pas) en niant le génie de Wagner, des vers pareils prouveraient que l’exactitude objective des jugements qu’un écrivain porte sur telle œuvre appartenant à un autre art que le sien n’a pas d’importance, et que son admiration, même fausse, lui inspire d’utiles rêveries. Pour moi qui admire beaucoup Wagner, je me souviens que dans mon enfance, aux Concerts Lamoureux, l’enthousiasme qu’on devrait réserver aux vrais chefs-d’œuvre comme Tristan ou les Maîtres Chanteurs, était excité, sans distinction aucune, par des morceaux insipides comme la romance à l’étoile ou la prière d’Elisabeth, du Tannhauser. A supposer que musicalement je ne me trompasse pas (ce qui n’est pas certain) je suis sûr que la bonne part n’était pas la mienne mais celle des collégiens qui autour de moi applaudissaient indéfiniment à tout rompre, criaient leur admiration comme des fous, comme des hommes politiques, et sans doute en rentrant voyaient devant les yeux de leur esprit une nuit d’étoiles que la pauvre romance ne leur aurait pas suggérée si elle avait