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plus mise au jour que dans celle-ci ; les moindres fautes y sont sévèrement punies. La pensée du crime y est regardée avec autant d'horreur que le crime même ; les faiblesses de l'amour y passent pour de véritables faiblesses, et le vice y est peint partout avec des couleurs qui en font haïr la difformité ». Et Racine, cet habile homme, de regretter aussitôt de n'avoir pas pour juges Aristote et Socrate qui reconnaîtraient que son théâtre est une école où la vertu n'est pas moins bien enseignée que dans les écoles des philosophes. Peut-être Baudelaire est-il plus sincère, dans la pièce liminaire au lecteur « Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère ». Et, en tenant compte de la différence des temps, rien n'est si baudelairien que Phèdre, rien n'est si digne de Racine, voire de Malherbe, que les Fleurs du Mal. Faut-il même parler de différence des temps, elle n'a pas empêché Baudelaire d'écrire comme les classiques.


Et c'est encor, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
........
O Seigneur, donnez-moi la force et le courage
........
Ses bras vaincus jetés comme de vaines armes
Tout servait, tout parait sa fragile beauté.


On sait que ces derniers vers s'appliquent à une femme qu'une autre femme vient d'épuiser par ses caresses. Mais qu'il s'agisse de peindre Junie devant Néron, Racine parlerait-il autrement ? Si Baudelaire veut s'inspirer d'Horace (encore dans une des pièces entre deux femmes), il le surpasse. Au lieu de « animæ dimidium mæ » auquel il me semble bien difficile qu'il n'ait pas songé, il écrira « mon tout et ma moitié ». Il faut du reste reconnaître que Victor Hugo, quand il voulait citer l'antique, le faisait avec la toute-puissante liberté, la griffe dominatrice du génie (par exemple dans la pièce admirable qui finit par « ni l'importunité des sinistres oiseaux », ce qui est à la lettre « importunique volucres »).