L’amour, du reste, selon Hugo, et selon Baudelaire sont si différents. Baudelaire n’a vraiment puisé chez aucun autre poète les sources de son inspiration. Le monde de Baudelaire est un étrange sectionnement du temps où seuls de rares jours notables apparaissent ; ce qui explique les fréquentes expressions telles que « Si quelque soir » etc. Quant au mobilier baudelairien qui était sans doute celui de son temps, qu’il serve à donner une leçon aux dames élégantes de nos vingt dernières années, lesquelles n’admettaient pas dans « leur hôtel » la moindre faute de goût. Que devant la prétendue pureté de style qu’elles ont pris tant de peine à atteindre, elles songent qu’on a pu être le plus grand et le plus artiste des écrivains, en ne peignant que des lits à « rideaux » refermables (Pièces condamnées) des halls pareils à des serres (Une martyre), des lits pleins d’odeurs légères, des divans profonds comme des tombeaux, des étagères avec des fleurs, des lampes qui ne brûlaient pas très longtemps (Pièces condamnées), si bien qu’on n’était plus éclairé que par un feu de charbon. Monde baudelairien que vient par moment mouiller et enchanter un souffle parfumé du large, soit par réminiscences (La Chevelure, etc.), soit directement, grâce à ces portiques dont il est souvent question chez Baudelaire « ouverts sur des cieux inconnus » (La Mort) ou « que les soleils marins teignaient de mille feux » (La Vie antérieure). Nous disions que l’amour baudelairien diffère profondément de l’amour d’après Hugo. Il a ses particularités, et, dans ce qu’il a d’avoué, cet amour semble chérir chez la femme avant tout les cheveux, les pieds et les genoux :
Ô toison moutonnant jusque sur l’encolure.
Cheveux bleus, pavillons de ténèbres tendus.
Et tes pieds s’endormaient dans mes mains fraternelles.
Et depuis tes pieds frais jusqu’à tes noires tresses
(j’aurais) déroulé le trésor des profondes caresses.