60 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
tion de 84) était sur les tables du salon de La Roque et de celui de Blancmesnil ; Lionel et moi, cédant au mouve- vement nous nous exaltions sur ces lettres où Montalembert fraisait figure de grand homme ; son amitié pour Cornudet était touchante ; Lionel rêvait notre amitié pareille ; bien entendu, c'était moi, Cornudet.
C'est sans doute aussi ce qui fait qu'il ne supportait pas qu'on lui apprît rien ; toujours il savait tout avant vous, et parfois il lui arrivait de vous réciter votre propre opinion comme sienne, oubliant qu'il vous la devait, ou de vous redonner avec suffisance le renseignement qu'il tenait de vous. En général il servait comme de son cru ce qu'il avait glané par ailleurs. Avec quel amusement j'avais retrouvé, dans une revue, le mot, absurde du reste, qu'il avait laissé tomber de si haut, comme un fruit de ses réflexions per- sonnelles, du temps que nous découvrions Musset : « C'est un garçon coiffeur qui a dans son cœur une belle boîte à musique ». Je n'aurais peut-être pas parlé de ce travers, si je n'avais lu dans les Cahiers de Sainte-Beuve que son grand-père en était pareillement entiché.
— Et Armand ?
— Durant quelques mois je continuai d'aller le voir à Paris de loin en loin. Il habitait avec sa famille près des Halles. Il vivait là, aux côtés de sa mère, digne femme, douce et réservée ; avec deux sœurs : Tune, sensiblement plus âgée, s'était faite insignifiante, par effacement et affec- tueuse abnégation devant sa sœur cadette, comme il advient souvent, prenant à sa charge, pour autant qu'il pouvait me paraître, toutes les corvées et les soins les plus rebutants du ménage. La seconde sœur, du même âge à peu près qu'Ar- mand, était charmante ; on eût dit qu'elle acceptait son rôle de représenter la grâce et la poésie dans cette sombre maison ; on la sentait choyée par tous et particulièrement par Armand, mais par celui-ci de la façon bizarre que je vais dire ensuite. Armand avait encore un grand frère, qui
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