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714 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

M. Lasserre nous apparaissant, depuis le Romantisme Français, comme le défenseur, l'avocat, d'un système ancien de critique qui a sa place dans notre organisme littéraire français, et nous n'avons aucune raison de le vouloir autre.

Mais lorsque des catholiques comme M, Vallery-Radot, ayant lu son article sur Claudel, font observer que le sens chrétien lui manque, et que son esprit d'humaniste strict ne le dispose nul- lement à une poésie fondée tout entière sur le fait chrétien et la création de l'homme nouveau, M. Lasserre s'indigne et s'écrie :

« A en croire les paroles, d'ailleurs mêlées de confusion, de M. Vallery-Radot, j'ai l'esprit entièrement fermé au génie de Paul Claudel, parce que je l'ai entièrement fermé au christianisme lui-même. Rien de mains... Pour Paul Claudel, dont l'inspiration se meut dans le plan de la Révélation et de la Grâce, je n'y sa'irais rien entendre. Le temple m'est interdit parce que je n'ai pas la foi, ni sans doute le sens de la foi. L'admiration pour la littérature de Paul Claudel est une application ou une illumination de la foi ; faute de cette lanterne divine, les profondeurs de sa poésie restent pour moi des ténèbres. J'y entre comme un aveugle, cherchant sous mes pas la chaussée de Minerve, et m'étonnant de ne l'y pas trouver, alors que je suis dans les sublimes abîmes d'Elie. »

Et M. Lasserre, ayant prêté à ses critiques ces paroles comi- ques, n'est pas embarrassé pour y répondre victorieusement : il y a de bons chrétiens qui ne comprennent rien à Claudel, et il y a des littérateurs, des mondains, des di])lomates fort peu chré- tiens, et parfois Juifs, qui l'admirent. Donc le sens chrétien n'a rien à voir en ces matières. Mais lorsque Victor Hugo fait à Racine les plus injustes critiques, ne sommes-nous pas fondés à lui objecter que le sens du xvii^ siècle, nécessaire à un homme cultivé pour bien goûter Racine, lui manque évidemment ? Et s'il nous répond, comme M. Lasserre : Je connais de grands érudits en xvii^ siècle, des Edouard Fournier ou des biblio- phile Jacob, que Mithridate ennuie ; et quand jadis madame Sarah Bcrnhardt jouait Phèdre, les trois quarts de ceux qui applaudissaient eussent pris volontiers Louis XV pour le fils de Louis XIV, — ne pourrons-nous dénoncer l'artifice du raisonne- ment, maintenir que le sens du xvip siècle, dont il est naturel qu'un romantique soit à peu près dépourvu, est indispensable

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