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7l8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

y a un certain goût classique qui voit la perfection de l'art dans une litote perpétuelle, dans une sobriété hyperbolique où on ne parlerait que par sous-entendus : ainsi ces adresses au souverain qu'on votait dans les Chambres de la Restauration, les ordres du jour parlementaires, où une virgule bien placée peut faire tom- ber un ministère, les toasts où le Je bois d'un chef d'État signifie que la Pologne est ivre. Mais en poésie la litote est souvent une invention du grammairien qui projette en Corneille ou en Racine sa propre pauvreté. Ni chez Corneille qui l'a dit, ni à plus forte raison chez Racine qui ne l'a pas dit, Je fie te hais pointue sign'iHt Je t'aime. Il porte bien précisément et à plein sur l'idée de haine, il répond à ce mot de Rodrigue : vivre avec ta haine. Chimène ne peut pas ressentir pour Rodrigue la haine qu'elle doit au meurtrier de son père, et elle le dit. Ni Cor- neille ni Racine n'ont usé communément de la litote dans leurs scènes de déclaration d'amour : je ne vois guère qu'Hippol}te et Aricie, qui emploient ce genre d'agréables énigmes que je trouve charmantes^ mais qui évidemment me touchent moins le cœur que le torrent verbal et l'explosion directe de Phèdre et le J'aime ! cri d'une bouche ouverte comme une blessure. Ni dans Shakespeare ni dans Hugo l'amour ne procède par litote. Ni dans Claudel. M. Lasserre remarque d'ailleurs très justement que si les personnages claudéliens parlent beaucoup, c'est qu'ils ne parlent pas seulement pour eux-mêmes, ils parlent aussi pour M. Claudel. Je le vois bien, mais cela ne me gène pas. Je ne demande pas plus à M. Claudel les qualités de Racine que je ne cherche une orange sur un pommier. Je ne trouve pas, dans ses drames, des personnages très vivants, j'y trouve un auteur vivant, une idée de la vie, une idée originale et forte, carrément et puissamment catholique, une idée rendue vivante par une grande inspiration. Il est d'autres poètes qui m'apporteront autre chose.

��M. Lasserre appelle cet art un art de chapelle. 11 entend par chapelle le cercle fanatique et la louange, sans critique ni dis- cernement, dont certains écrivains seraient entourés, et qui s'appliqueraient comme à leur objet naturel à certains génies contrefaits et manques. « Ce qui s'empare de l'intelligence et du cœur par la libre pénétration de la vérité, de la bonté, de la

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