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NOTES 737

à un commun dcnominatcur, à la manière d'un La Roche- foucauld, qui décelait l'amour-propre à la racine de toutes les actions et de tous les sentiments des hommes.

Ce que l'auteur des Mémoires d'un Jeune Homme rangé y décou- vre, c'est, sous toutes ses formes, la paresse : paresse physique, morale, paresse de volonté, paresse de sentiment. Et il choisit tour à tour les personnages de ses romans et de ses pièces parmi ceux qui se plient le plus docilement à sa théorie (Triple- patte, Danseur inconnu, Mari pacifique, etc..) et parmi ceux qui semblent la contredire le plus expressément et représenter ici- bas la violence aveugle (les assassins d'Amants et Voleurs^, la continuité dans l'effort (les boxeurs de Xicolas Bergère), le sang- froid et la suite dans l'action (les diplomates de Secrets d'Etal).

Le comique chez Tristan Bernard ne naît pas de la peinture directe des ridicules ou des travers, mais de la disproportion entre les mobiles, les moyens mis en oeuvre et les résultats obtenus. La comédie ne s'alimente plus chez lui d'une croyance aux vices, aux faiblesses, aux ridicules, aux travers, bref aux caractères des hommes. Il ne croit ni aux uns, ni aux autres parce que sa théorie sur la paresse le détourne de croire aux passions ou même aux instincts.

Livré à lui-même, l'homme ne devient pas une brute, il ne se ravale pas au niveau de l'animalité, comme le soutiennent les prédicateurs (dans la première partie de leurs sermons) et les romanciers naturalistes, d'un bout à l'autre de leurs oeuvres. L'homme, livré à lui-même, aspire à l'inertie de la matière. L'immobilité, mère de toutes les paresses, règle du nirvana, que les Stoïciens muèrent pompeusement en ataraxie, est sa loi.

S'il bouge, c'est parce que le hasard le déplace, s'il croit avoir envie de bouger, c'est à cause de son imagination. L'ima- gination, sous toutes ses formes: vanité, bovarysme, aspirations romanesques, appétit de gloire, etc., voilà ce qui distingue au fond un homme d'un caillou. Encore faut-il remarquer que cette imagination n'est pas un produit spontané de l'individu : elle lui est arrivée par l'intermédiaire de la poésie, de l'histoire, miroirs déformants et ennoblissants de l'a jamais morne et jnerte réalité. La paresse plus l'imagination, c'est tout l'homme. Qu'on y ajoute le hasard, c'est toute la vie. Telles sont les deux

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