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142 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

sant Armance ; j'imagine celle-ci perplexe d'abord, puis douloureusement résignée (et je ne parle ici que de la rési- gnation amoureuse ; mais pour nombre de femmes le renoncement à la maternité qui s'ensuit est plus cruel encore, sans doute, et plus durablement). J'imagine Octave moins aisément résigné qu'Armance, ou plutôt : moins profondément, se représentant sans cesse ce dont il la prive, et, qui pis est, le lui représentant. J'imagine les vains essais, les protestations dont l'amour est prodigue, les doutes, puis, l'âge venant, et à supposer que leur amour perdure, la lente épuration de cet amour, dernier terme et très incertainement atteint, que parodie l'accoutumance.

A moins qu'ils n'arrivent l'un et l'autre sans trop de peine à cette sagesse de ne s'exagérer point trop l'impor- tance de ce qui leur est refusé et de se persuader que l'amour le plus profond n'est point nécessairement lié à la chair. Peut-être même en viendront-ils alors à se féliciter de ce que leur amour, pur de tout alliage charnel, ignorant cet excès d'ardeur que la vapeur des sens attise, ignore à la fois sa brûlure, et de ce que la nature, en leur interdisant certaines félicités, leur permette d'éluder cette géhemie qui les suit

« to shun the heaven that leads meu to this hell » s'il faut en croire Shakespeare,

Car je songe à la terrible phrase de Tolstoï, que Gorki nous rapporte : « L'homme survit à des tremblements de terre, aux épidémies, aux horreurs de la maladie, et à toutes les agonies de l'âme ; mais de tous temps la tragédie qui l'a tourmenté, qui le tourmente et qui le touniientera le plus, c'est — et ce sera — la tragédie de l'alcôve \ »

ANDRÉ. GIDE.

��I. Souvenirs sur Tolstoï, par Maxime Gorki (Nouvelle Revue française du ler déc. 1920).

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