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148 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

s'arrête peut-être pour l'éternité. En fait, nous passâmes près de cinq heures sous l'enseigne du cerf. Et c'est grand'- honte, car nous n'avions mérité aucun repos.

Neek, ayant déniché un piano édenté, sénileet quinteux, le martyrisait sans relâche. Cette musique ravit toute la compagnie, jusqu'à Biel dont l'autorité n'allait pas sans faiblesses. Raphaël avait saisi par la taille et induit en de folles valses une servante blonde dont les nattes tournoyaient et sifflaient comme des fouets. Thierry mit à l'air, pour les masser avec tendresse, deux pieds osseux, pourpres, inquiets, aux orteils en volutes. Puis on décida de déjeuner, sans aller plus outre. Puis une forte majorité se prononça pour la sieste. Puis on s'enquitd'un guide. Il se fit longuement attendre. Cependant le parti de la bière entreprenait, contre le parti du vin blanc, un match imprudent dont la dignité générale eut à souffrir.

Le guide ? Un petit gnome jovial qui s'était brisé une jambe au Wildspitze. Il boitait comme Vulcain, mais trot- tait comme Mercure. Il nous demanda trois minutes pour aller embrasser sa fiancée. En fait il l'embrassa pendant plus d'une heure. Si vous rencontrez jamais Joseph Tiefe- nau, ne vous laissez pas faire le coup de la fiancée.

��*

��Chers amis, chers compagnons, ombres fidèles à ma voix, en dépit des années, des défaillances, des trahisons, de l'oubli, de la mort.

Gaspard avait un regard si frais, si calme, un regard de matinée. Mais notez les muscles de lutteur, notez le large dos bossue sur lequel s'entassèrent bien des fardeaux indus. Et cette voix placide, mélodieuse, imprégnée de sourire ! Et ce large front calculateur : car Gaspard avait, à compter, une attitude puérile, presque animale. Et quelle poignée de main ! Et comme il subissait en souriant son inhumaine passion mathématique !

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