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202 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

les Idées de Charles Maurras ', je me demandais avec une pointe d'inquiétude ce que serait le volume suivant, sa Vie de Maurice Barres. Saurait-il, écrivais-je, « suivre dans ses détours une pensée qui par moments se dérobe, se cabre ou va s'alanguir jusqu'au chant et qui, même dans l'action, n'a jamais renoncé à l'allure capricieuse de la jeunesse ». Et j'ajoutais : « Il faut que l'auteur qu'il aborde lui apporte ce qui lui manque, ce qu'on sent qu'il aime par-dessus tout et qu'il n'a pas — car la curiosité de son esprit le pousse à rayonner, plutôt qu'à progresser, quoi qu'il fasse — je veux dire : une direction. Aussi, me semble-t-il, il se sentira plus à l'aise devant l'homme d'une seule pensée — esthétique, métaphysique ou .politique — devant un écrivain tout d'une pièce, Mallarmé, Bergson ou Maurras. Il tient avant tout à comprendre ; il comprendra mieux ce qui est lié et sa passion aberrante se trouvera momen- tanément maintenue. » Si cette crainte, du reste limitée, n'est pas tout à fait justifiée par l'événement, il n'en reste pas moins que, dans l'enquête abondante, minutieuse, je puis dire complète, menée par M. Thibaudet sur la vie et les œuvres de Maurice Barrés, l'enchaînement des idées, des chapitres, la répartition de la matière, le mouvement et le plan du dis- cours n'ont pas la même rigueur inflexible, entièrement satis- faisante pour l'esprit que dans son enquête sur Charles Maurras. — Etait-il indiqué, était-il possible de distinguer en Maurice Barrés, aussi nettement qu'il l'a fait ou voulu faire, la « figure individuelle » de la « figure sociale » et le romancier de ses personnages ? Je ne le crois pas. Considérée dans son ensemble la carrière de Barrés ne dessine pas une courbe linéaire : elle n'est pas, si l'on veut, du ressort des arts du dessin, mais de celui de la musique. Les fils conducteurs s'y emmêlent ; il y a des bouffées subites, des ondes contraires, des trilles, un complexe travail orchestral, des dessous obscurs. Ce qu'a fort bien vu M. Thibaudet, mais, semble-t-il, sans en tirer la conclusion qui s'imposait, au moment de classer les éléments de son ouvrage. Que n'a-t-ii adopté l'ordre chronologique, l'ordre de succession et de croissance qui, jour par jour, rend compte de la poussée de l'arbre, du poète, en réservant l'ordre

I. Revue Universelle, 15 juillet 1920.

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