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NOTES 213

OÙ l'on « fait de la terre » en défrichant la forêt, vie rude, qui réclame une ténacité sans défaillance et des vertus labo- rieuses. Le récit commence au premier printemps et nous fait parcourir le cycle de l'année, avec ses divers travaux, ses joies simples, ses malheurs supportés sans phrases. L'amour déçu de Maria pour l'audacieux François Paradis, mort dans la neige comme il traversait la forêt pour venir la voir ; le mirage des villes par quoi Lorenzo Surprenant, qui vit « dans les Etats », essaie de la gagner ; l'habitude du travail acharné qui a tini par user la mère et qui reprend la fille, comme un devoir qu'on ne peut éluder, si bien qu'elle épousera simple- ment le pionnier voisin ; tous les éléments de cette aventure grise et chaste restent à leur place dans le chant de la vie agreste. Pas un mot forcé, pas une métaphore inutile. Ce qui frappe dans ce livre c'est la parfaite justesse du ton, la bonne qualité du langage, l'accent vrai des paroles.

Il n'y aurait rien d'étonnant à ce que le Canada français fît de cet ouvrage une sorte de poème national. Qu'on relise les notes de voyage du prince de Beauvau Craon, La survivance française au Canada : on y retrouvera toutes les données ethniques et psychologiques de Maria Chapdelaine. Le coup de pouce du romancier est extrêmement discret. Le fait de placer son action aux confins des régions civilisées lui permet quelques couleurs un peu plus fortes, mais les sentiments qu'il expose sont bien ceux où tout Canadien français aime à se reconnaître. Pas une phrase qui ne soit faite pour plaire à cette population robuste, riche en vertus familiales, déférente envers le clergé, peu inquiète, peu curieuse et qui doit sa conservation à sa haine de toute nouveauté.

A nous-mêmes ce livre apporte, en dehors de ses qualités intrinsèques, un plaisir d'exotisme qui est de bon aloi. Le parler paysan est reproduit avec un soin discret, et les défor- mations d'une langue qui a évolué sans contact avec la métro- pole sont des plus savoureuses. Dans leur enthousiasme, cer- tains admirateurs ont accablé ce petit livre sous d'énormes éloges : c'est fausser les proportions et nuire à un ouvrage qui respire la modestie. Mais sans doute est-ce la première fois qu'une œuvre littéraire, capable de vie propre, éclôt là-bas et contribue à resserrer les liens entre le Canada et la France. On

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