Page:NRF 17.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

242 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

conseille de se réserver autant que possible, a tout en paraissant transparent comme du verre». «Tuas d'excellentes idées,» écrit-il à ce même petit ami, « mais ta forme n'est pas toujours sincère. Si tu n'y prends garde, ce défaut peu à peu détruira toute l'authenticité de ta pensée » ; et plus loin : « Tu semblés poser en axiome que nous sommes des enfants prodiges (Wunderhinder) , or cela n'est pas du tout le cas. Les enfants prodiges sont des êtres qui ont poussé trop vite en serre chaude et qui généra- lement défleurissent rapidement sans porter aucun fruit. »

A treize ans, la lecture de Zarathoustra lui arrive comme une grande aventure : « J'ai le vertige, je titube, je perds le souffle. Je ne veux pas en parler, j'en suis incapable : sans doute faut-il abattre un bon morceau de travail systématique, et même pé- dant, pour n'être pas complètement démoli par un pareil nan plus ultra y> ; et voici un passage qui peint bien la qualité de son enthousiasme : « Lorsque j'eus achevé ce chapitre, au lieu d'en recommencer un autre, comme j'en avais eu d'abord l'in- tention, je me suis lancé dans ma grammaire latine et j'ai bûché comme un fou. » Il s'emporte contre ceux qui prennent prétexte de Nietzsche pour excuser leurs basses passions, leur paresse et leur décadence. Et il cite : « De toujours essayer d'affubler de quelque prétexte moral leurs vilenies me paraît être un défaut congénital des Allemands. »

Les lettres de Van Gogh le bouleversent au même degré que Nietzsche : « Ce sont deux socs de charrue qui vous traversent et vous labourent ». Burkhardt le passionne, et dès un premier voyage en Italie, il fait sur la peinture et l'architecture des réflexions aussi originales que judicieuses. Fra Angelico le transporte: «C'est si beau, dit-il, qu'on en oublierait la vie. Mais non, au contraire, c'est à la vie que cela vous ramène», paroles caractéristiques de la façon dont il accueille la culture ; rien dans cet esprit frémissant et fertile ne reste abstrait. Tout s'y vivifie aussitôt et s'y relie — livrespoussiéreux et textes ardus ne sont pour lui que vaisseaux de la plus concrète réalité où son âme aussitôt baigne, évolue et se nourrit.

Jusqu'à sa quatorzième année, l'auteur de ce recueil posthume nous attache surtout par la curiosité que nous inspire une pré- cocité presque à la Pascal. Mais à partir de ce moment là, nous sommes retenus par sa valeur intrinsèque, par la nouveauté et

�� �