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LES REVUES 2$^

humain est sujet à critique, comme tout bien politique est mêlé de mal, comme Fénelon pense avec honnêteté et indépendance, voit sou- vent clair dans les fautes d'autrui, écrit éloquemment, nous sommes tout disposés à admirer cette oeuvre critique, à y trouver du bien et du vrai. Investi d'un pouvoir spirituel, il reste dans son droit et dans son devoir en signalant les manquements des hommes d'Etat à la loi de l'Evangile, en dénonçant à un roi les éléments d'injustice et d'orgueil qui peuvent se trouver dans sa conduite politique aussi bien que dans sa conduite privée. Bossuet a pu dire que le Télémaque n'était pas d'un prêtre ; mais nous pouvons bien estimer qu'il était plus d'un prêtre de rappeler à Louis XIV l'exemple de saint Louis, comme Fénelon, que de l'enorgueillir, comme Bossuet, des noms de nouveau Constantin et de nouveau Théodose. Quand Louis XIV, à son lit de mort, déclare devant Dieu qu'il a trop aimé la guerre, que fait-il d'ailleurs, sinon donner raison à Fénelon prêtre et directeur de conscience ?

Mais si Louis XIV a pu être parfois entraîné par les illusions du pou- voir et par celles que le pouvoir impose autour de lui aux miroirs qui le réfléchissent, Fénelon critique de Louis XIV n'est-il pas entraîné par les illusions qu'implique la critique chez celui qui la fait et chez ceux qui l'admirent ? Ces illusions consistent à croire que celui qui est capable de signaler des défauts est capable par là même de remédier aux défauts qu'il signale, que l'aisance dans la critique implique la facilité dans l'art. Or l'expérience nous démontre qu'il n'en estr/en, que la loi de la divi- sion du travail joue ici parfaitement, que la capacité de voir les fautes, quand on n'est pas au gouvernail, ne devient nullement, quand on y est, la capacité de les éviter. Un excellent critique littéraire ne sera très souvent qu'un artiste médiocre, et réciproquement. En politique il en est de même.

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��IN MEMORIAM

Les Cahiers d'aujourd'hui publient, dans leur numéro de mai, de nouveaux souvenirs de Paul Léautaud :

J'aime écrire. De tous les plaisirs que j'ai essayés : promenade, con- versation, amour, — il y a le voyage, que je ne connais pas et que je ne connaîtrai probablement jamais, — c'est celui qui reste le plus vif. Les quatre murs de ma chambre, ma table de travail, deux bougies allumées, une plume, de l'encre et du papier : l'univers n'existe plus. Mon défaut, c'est que je n'ai pas d'invention, qu'au reste j'apprécie peu. J'aime les sujets vrais. Pas de roman, si beau soit-il, qui vaille pour moi une histoire sur des faits réels, avec des héros pour de bon. Dans ce sens, j'ai un grand goût pour les anecdotes : aucune fable,

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