Page:NRF 17.djvu/338

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

332 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

essaient de présenter au lecteur non pas un extrait idéologique, obtenu par celui dont la chair est triste et qui a lu tous les livres, mais un monde intérieur complet, un monde vivant, singulier, individuel ; ils ne se servent pas de la géographie pour figurer artificiellement un pays nouveau, mais sont eux- mêmes un pays nouveau, avec sa lumière propre, sa végétation particulière, son humanité indigène, son langage. Un poète est un monde, non au sens quantitatif, mais au sens qualitatif. Pour nous faire voyager dans ce monde, il faut nous l'ouvrir avec ses trois dimensions. Les Illuminations et le Nénuphar Blanc poussent à l'hyperbole ^Hyperbole! de ma mémoire...) cette création du pays, de la nature qu'est le poète, et où nous voyageons. La carte du Tendre et la Prose pour des Esseintes (je renvoie au commentaire que j'en ai donné dans mon Mal- larmé) constituent les deux extrêmes absolus d'un genre.

��*

  • *

��Je m'efforce ici de remonter moi-même un courant de mon monde intérieur et de mon passé pour m'expliquer la joie oià m'a plongé Suzanne et le Pacifique, de M. Jean Giraudoux. J'en dirais bien volontiers ce que M. Mœterlinck disait, vers 1894, de Couronne de Clarté. Et comme M. Maeterlinck exagé- rait de bonne foi, il se peut bien aussi que j'exagère de bonne foi. On verra dans dix ans ce qui restera de cet enthousiasme. Mais enfin, pour moi, la beauté des Illuminations et du Nénuphar Blanc n'a pas bougé, et comme le livre de M. Giraudoux me paraît se relier à cette veine, participer à cette nature, comme, au contraire des Illuminations, il n'est pas un livre isolé, un aérolithe étrange, mais se relie à toute la littérature de la géné- ration montante (qui n'est d'ailleurs pas la mienne et que je vois d'un autre rivage) il y a bien des possibilités pour qu'il fasse une fortune durable.

Su::jinne vient à sa place et en son temps dans l'œuvre de ■M. Giraudoux qui parait maintenant dessiner une perspective aussi vivante et aussi intéressante que la première partie de celle de Barrés ou de Gide. Dans V Ecole des Indifférents, et dans Simon le Pathétique, M. Giraudoux détachait des parties de lui- même, leur donnait une liberté dont elles se grisaient comme

�� �