Page:NRF 17.djvu/340

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

334 ' LA NOUVELLE RE\XE FRANÇAISE

L'ile de Suzanne n'a rien d'allégorique. Elle est, comme la nature, une vraie nature.

Quand le livre parut débité en tranches minces dans la Revue de Paris, comme d'Otrante à Cadix, les lecteurs partis trente au premier numéro se trouvèrent à peine dix au dernier. Moi- même j'abandonnai à la première étape. Je me rendis compte que cela ne supportait guère la division. Le contraire exacte- ment de ces romans de M. Paul Bourget, dont les six parties se moulent exactement sur les dispositions et l'attente du lecteur de la Rervue des Deux Mondes, comme le melon que la nature, selon Bernardin, a divisé en tranches pour nous inciter à le manger en famille. Suzanne n'est pas un melon. C'est une pomme : et je pense aux raisonnements insidieux par lesquels les instituteurs persuadent aux petits enfants que la terre ou une pomme cela se comporte de la même façon. Comme Jupiter visita Lédasous la forme d'un cygne, la Terre n'apparaît-elle pas à Nev,-ton sous la figure d'une pomme ? (à Eve aussi). Suiamie, île de Suzanne, pomme rose et blonde.

Qu'as-tu vu dans ton exil ? Disait à Spencer sa femme, A Rome, à Vienne, à Pergame, A Calcutta ? Rien !... fit-il... Veux-tu découvrir le monde Ferme les yeux, Rosemonde.

Puisque c'est son univers que M. Giraudoux a voulu mettre au jour dans cette belle bulle ronde, pourquoi ce changement de sexe ? Pourquoi Suzanne au lieu d'Urien ou de Simon ? C'est que la création poétique ressemble à l'autre, et que celui qui crée imite Dieu. M. Giraudoux a détaché de Simon — ou de lui-même. — une côte. Le monde que nous créons, ouïe monde qui se crée de nous, c'est une femme, c'est de la nature fémi- nine, c'est de la féminité inemployée, que sais-je ? Pour M, Giraudoux, dont la littérature est très jeune, ce serait fort bien une jeune fille. La jeune fille est partout présente vague- ment dans son œuvre, comme une eau invisible et divisée dans un pays de verdure, comme le jeune homme dans l'œuvre de M. Abel Hermanî. Il était naturel qu'il trempât, pour le rendre plus frais, son monde intérieur dans une sensibilité de jeune

�� �