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35^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Aussi ne respire-t-on pas dans ces pages cette odeur faisandée que dégagent certaines œuvres d'un ton moins libre et moins cru.

Cette absence de complaisance intellectuelle est bien remar- quable. Elle laisse à la curiosité du romancier toute son acuité visuelle et psychologique : du point de vue nouveau où il se place, le champ de son observation s'accroît à l'infini. On ne saurait préjuger de la suite du roman, mais ce premier chapitre sur les hommes-femmes est une date d'histoire littéraire. En eifet ces pages d'une si brûlante éloquence, d'une poésie si âpre et si noble, rompent un charme, le charme esthétique de l'inversion sexuelle sous lequel les arts et la littérature sont si longtemps demeurés.

La persistance d'un tel sortilège a été favorisée par le sym- bolisme pour qui l'idée d'équivoque et d'ambiguïté était pour ainsi dire rituelle, et qui considéraient l'androgjme comme la figure la plus expressive de la beauté humaine.

Toute une génération de poètes, initiés par le morose Samain, a consacré ses premières plaquettes à chanter d'équi- voques éphèbes, propageant dans les brasseries d'art le snobisme de l'homosexualité littéraire.

Ainsi toute la saison qui s'étend du Portrait de Dorian Grey au Martyre de Saint-Sébastien sera, grâce à M. Marcel Proust, mieux comprise et mieux appréciée. Car ce magicien devance l'œuvre même du temps ; il invente et il impose à une époque, celle de l'Afî'aire Dreyfus, la couleur et le style qui lui convien- nent et qu'elle semble devoir tenir de lui seul.

Quant à ses observations touchant le rôle des hommes-fem- mes dans la société, c'est au lecteur à les transposer dans le plan intellectuel : que de découvertes et que d'explications lui seront alors rendues faciles, et si attrayantes.

A la suite du professeur Freud, une école considère le rêve comme un effort tenté par l'être physique pour réaliser un désir inavouable en lui proposant un objet symbolique. On peut admettre que toute œuvre d'art est le produit d'une velléité semblable. Ainsi envisagée elle se dépouille des faux-mobiles dont l'auteur se plaît généralement à la parer et nous apparaît sous une forme nouvelle. Selon le mot simple et profond de M. Proust : « c'est la raison qui ouvre les yeux », on peut dire qu'une erreur dissipée nous donne un sens de plus.

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